Sarah Hassid, Post-doctorante EUR Translitterae-BnF
4_article_sarah_hassid
Pour Léandre, Mario et Carmen.
Au XVIe siècle, plusieurs poètes, artistes et savants tels Marsile Ficin, Léonard de Vinci ou Albrecht Dürer considèrent que jouer d’un instrument de musique permettrait d’échapper à la mélancolie et d’adoucir son esprit1. Les conseils qu’ils énoncent en matière d’éducation musicale prolongent d’anciennes prescriptions énoncées par des philosophes, de Platon à Augustin, et des croyances religieuses ou mythologiques incarnées par les figures musiciennes de David ou d’Orphée. Si, au XIXe siècle, la pratique musicale reste particulièrement prisée, l’expérience auditive et ses effets bénéfiques voire thérapeutiques sur le corps et l’esprit cristallisent toutefois l’attention de manière inédite2.
L’omniprésence des figures d’auditeurs dans la littérature et les arts visuels au XIXe siècle témoigne clairement de cette évolution. Parmi elles, les enfants, sur lesquels les écrivains et artistes posent un regard plus attentif depuis la publication d’Émile (1762) et des Confessions (1782) de Jean-Jacques Rousseau, occupent une place de choix. L’une des plus célèbres toiles de Léopold Robert exposée au Salon de 1824 puis diffusée par l’estampe en fournit un exemple emblématique [fig. 1]. Le détail au premier plan de la petite fille qui écoute, auprès de sa jeune mère, les chants d’un improvisateur napolitain accompagné de sa mandoline est ainsi délicatement commenté par Etienne-Jean Delécluze dans l’ouvrage qu’il consacre au peintre en 1838 :
Rien ne peint mieux ce bien-être moitié physique, moitié intellectuel, causé par ces improvisations chantées […] que l’attitude et la physionomie de cette petite fille étendue nonchalamment près de sa mère. Le genre d’attention que cette enfant donne aux chants du poète populaire est on ne peut mieux rendu par le laisser-aller de son corps et de ses bras et par un certain regard vaguement satisfait, qui indique précisément le bien-être dont jouit cette jeune créature3.
Fig. 1 Louis-Adolphe Gautier d’après Léopold Robert, L’improvisateur napolitain, acquatinte, H.54,5; L. 69,5 cm., Paris, Goupil & Cie, 1841, collection particulière.
L’auteur insiste sur les effets apaisants produits par l’écoute musicale. Agissant à la fois sur l’esprit et le corps, ils transparaissent aussi bien dans l’expression hypnotique du visage que dans la posture naturelle et l’attitude alanguie de l’enfant. Si elles permettent, dès le plus jeune âge, de réguler les fluides nerveux pour reprendre la terminologie du temps, ces expériences auditives sont parfois jugées favorables à l’éducation. Elles permettraient, en effet, d’aborder dans les meilleures dispositions, tout enseignement ou activité exigeante pour l’esprit. La stimulation de l’oreille au moyen de sonorités harmonieuses éveillerait ainsi l’âme et les sens, en fournissant les conditions nécessaires à l’étude. De telles conceptions en faveur d’une éducation douce et créative sont exposées dans un épisode anecdotique relatif à l’enfance de Michel de Montaigne. Ce récit autobiographique qui met en valeur les vertus de l’éveil musical des enfants suscite un intérêt tout particulier durant la première moitié du XIXe siècle. Librement approprié et réinterprété à l’aune des idéaux rousseauistes et romantiques, il est érigé en mythe du génie précoce où l’imagination créatrice de l’enfant est stimulée dès le berceau.
S’éveiller au son de quelque instrument : l’évocation d’un « paradis » de la petite enfance4
Dans la première partie des Essais au chapitre XXV intitulé « De l’institution des enfans », Montaigne se confie sur la manière dont son père, Pierre Eyquem, prenait soin de son éducation dans les premières années de sa vie, en privilégiant une approche douce et dépourvue de contraintes. Il expose alors la tendre astuce mise au point chaque matin pour le sortir de son profond sommeil :
Car entre autres choses, il avoit esté conseillé de me faire gouster la science et le devoir, par une volonté non forcée, et de mon propre desir ; et d’eslever mon ame en toute douceur et liberté, sans rigueur et contrainte. Je dis jusques à telle superstition, que par ce qu’aucuns tiennent, que cela trouble la cervelle tendre des enfans, de les esveiller le matin en sursaut, et de les arracher du sommeil (auquel ils sont plongez beaucoup plus que nous ne sommes) tout à coup, et par violence, il me faisoit esveiller par le son de quelque instrument, et ne fus jamais sans homme qui m’en servist5.
Bien que concise et d’apparence anecdotique, cette confidence autobiographique placée dans le premier livre des Essais est particulièrement évocatrice de l’éducation singulière prônée par Montaigne. Elle exemplifie les conceptions de l’auteur où les sens et la raison, le plaisir et la morale, la fantaisie et l’étude ne sont plus strictement opposées. Ces notions sont, au contraire, reliées par un idéal pédagogique qui prône des expériences douces et harmonieuses, à l’exemple de l’audition musicale. Si, dans la première version des Essais publiée en 1580, l’auteur mentionnait la présence d’une épinette6, les versions postérieures suppriment cette précision organologique, au profit d’une référence plus vague au « son de quelque instrument7 ». Le narrateur supprime in fine tout détail pittoresque, en privilégiant l’effet sensible, sur ses oreilles et son jeune cerveau, de sonorités harmonieuses, dont le timbre et la tessiture, en l’absence de description verbale, demeurent mystérieux.
Cette anecdote se fonde sur le rôle vertueux et apaisant joué par la musique à la fois dans la Grèce antique, avec la figure de l’Orphée civilisateur, et dans la tradition judéochrétienne, où elle renvoie à deux figures essentielles d’auditeurs : Saül apaisé par la harpe de David et sainte Cécile, éblouie par le concert céleste8. L’écoute musicale harmonieuse suggère autant un plaisir sensoriel qu’une tentative d’élévation de l’âme. Chez Montaigne, ce pouvoir accordé à la musique est toutefois délié de toute idée de révélation divine. Il offre les conditions d’accès les plus heureuses au savoir rationnel et ouvre la voie à la connaissance de soi et du monde. De ce point de vue, le récit d’éveil musical livré par Montaigne peut être envisagé comme une réécriture d’un usage prêté à saint John Fisher au XVe siècle. Le théologien anglais avait coutume d’introduire le psaume trente-sept qui réprime la colère, la méchanceté et les vils instincts, en expliquant que les Pythagoriciens avaient l’habitude d’écouter chaque matin, au réveil, le son d’une harpe, afin d’être dans une bonne disposition pour commencer leur étude9. Le récit de Montaigne souligne, dans le même sillage, le rôle essentiel de la musique au sein du quadrivium. L’art des sons, parce qu’il modélise par des rapports numériques harmonieux la musique des sphères théorisée par les pythagoriciens, s’impose ainsi comme le premier palier nécessaire ou la voie d’entrée permettant d’élever son esprit et d’accéder plus aisément aux autres sciences : l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie.
Le souvenir évoqué par Montaigne se situe durant la période de la petite enfance évoquée par l’écrivain comme une période de bonheur et d’insouciance. Afin de vivre, selon le souhait de son père, de façon humble et ordinaire, Michel de Montaigne est élevé modestement, depuis sa naissance, dans un village gascon auprès d’une nourrice10. Le jeune garçon ne retrouve le château familial qu’à l’âge de deux ans. Souhaitant, ainsi que l’explique Jean Lacouture, « faire de son fils aîné un modèle de gentilhomme humaniste en recourant aux méthodes qu’Erasme vient de proposer au monde occidental en publiant le De pueris statim ac liberaliter instituendis en 152911, son père nomme un précepteur allemand, un médecin nommé Horstanus, chargé d’enseigner au bambin les humanités et de lui apprendre le latin12. Pierre Eyquem préconise une méthode originale qui consiste en une pratique orale exclusive. Ce choix singulier contraint l’ensemble de la maisonnée à ne s’exprimer que dans cette langue savante, afin que l’enfant en développe un usage naturel et spontané. Dans ce contexte éducatif atypique, la tenue de concerts improvisés tous les matins au chevet du jeune garçon s’avère plausible13. À cette période heureuse où Montaigne est âgé de deux à six ans, succède l’expérience austère et traumatisante de la scolarité au prestigieux collège humaniste de Guyenne à Bordeaux. Dans cet établissement que Montaigne qualifie de « meilleur de France », le jeune garçon suit un enseignement de grammaire et de rhétorique entre les âges de sept et treize ans. Le témoignage qu’il livre de la discipline stricte et des châtiments subis contraste fortement avec la douceur des années précédentes. Le bruit du fouet a remplacé le son harmonieux de l’instrumentiste :
Mais, entre autres choses, cette police de la plus part de noz colleges m’a tousjours despleu. On eust failly à l’adventure moins dommageablement, s’inclinant vers l’indulgence. C’est une vraye geaule de jeunesse captive. On la rend desbauchée, l’en punissant avant qu’elle le soit. Arrivez-y sur le point de leur office : vous n’oyez que cris et d’enfans suppliciez et de maistres enyvrez en leur cholere. Quelle manière pour esveiller l’appetit envers leur leçon, à ces tendres ames et craintives, de les y guider d’une troigne effroyable, les mains armées de fouets14 ?
Succédant à un chapitre dans lequel il fustige le pédantisme des rhétoriciens, le récit du réveil musical de Montaigne souligne ainsi l’attachement de l’auteur à une expression libre et spontanée, nourrie par une imagination féconde et une propension à la fantaisie, au détriment de règles policées15. Dans cette perspective et parce qu’il accorde à la musique un rôle central (qui ne transparaît pourtant pas à grande échelle dans les Essais), ce court passage mentionné rapidement et « entre autres choses16 » par l’auteur du XVIe siècle jouit d’une fortune importante en France, à l’aube du XIXe siècle, et contribue à faire de Montaigne un génie romantique avant l’heure.
Le génie de Montaigne et les «circonstances favorables » de son développement : éloges d’une éducation idéale.
Après avoir été relativement délaissés et critiqués au XVIIIe siècle, les Essais connaissent, au siècle suivant, un fort regain d’intérêt qui se traduit par plusieurs rééditions17. Par ailleurs, en 1810, la classe de langue et de littérature françaises de l’Institut de France choisit de mettre à l’honneur Michel de Montaigne, dans le cadre d’un concours d’éloquence. Douze éloges sont produits et publiés en 181218. Trois d’entre eux font allusion au récit du réveil en musique du jeune Montaigne. Joseph Droz qui obtient une médaille d’or de l’Académie19 et Joseph Dutens qui reçoit une mention honorable20, restent proches du texte original de Montaigne. Ils en conservent la structure tout en reformulant légèrement les termes. Le premier souligne à quel point l’éducation douce et « quelquefois singulière » reçue par le jeune homme a pu « préparer la teinte originale et le charme piquant des Essais21. » Le second insiste sur « le pouvoir lent et insensible de l’habitude22 » sur lequel son père fonde son éducation, avant de décrire l’expérience auditive proposée chaque matin au garçon :
[…] tous les matins, les sons progressifs d’une musique harmonieuse viennent épargner aux fibres délicates de son cerveau l’ébranlement redouté d’un trop brusque réveil 23.
La troisième mention de l’anecdote est due à Émile Vincens dont l’éloge n’a pu concourir à l’Institut en raison, apparemment, d’un problème d’envoi24. Le long essai proposé par l’auteur s’avère particulièrement intéressant quant à la réception de la pensée de Montaigne et de son génie par la génération romantique. La manière allusive avec laquelle le souvenir du réveil en musique est rappelé semble indiquer que cette référence biographique est déjà bien connue du lectorat :
« Peindrai-je les soins inouïs de ce tendre père qui réveilloit son enfant par les sons harmonieux, pour éloigner de lui les impressions violentes ou subites ?25 » La formule interrogative éloquente avec laquelle elle est évoquée par l’auteur alimente à elle-seule, par sa puissance évocatrice et sa valeur iconique, le mythe romantique du jeune génie inspiré et soumis à sa seule fantaisie, ainsi que Montaigne est dépeint tout au long de l’éloge.
La principale qualité que Vincens attribue à l’auteur des Essaisest son « imagination brillante26 » qu’il estime « capable de réaliser tous les fantômes » et qu’il compare aux « épicycles des anciens astronomes27 ». Celle-ci lui permet de comprendre la versatilité de l’être, dépeint dans la plus célèbre formule des Essais comme un « sujet merveilleusement ondoyant et divers28 ».Vincens loue également les qualités inventives de Montaigne qui transparaissent dans son écriture fluide, précise et imagée :
Il indique les ressources de la langue pour s’enrichir de nouvelles métaphores. […] Le talent de semer ces richesses, il l’appelle invention. C’est le maniment [sic] des bons esprits qui donne du prix à la langue, plus en la ployant, dit-il, qu’en innovant. Ils ne lui apportent pas de nouveaux mots ; ils enrichissent et enfoncent la signification de ceux qu’elle possède. S’ils lui apprennent des mouvemens inaccoutumés, c’est prudemment et ingénieusement29.
Il célèbre, enfin, la facilité et l’aisance apparente de l’écrivain – la fameuse sprezzaturadécrite et encouragée par Baldassare Castiglione à la même époque30 – et qui continue à fasciner un auteur comme Stendhal au XIXe siècle. Vincens insiste sur la faculté qu’a Montaigne de rendre les disciplines les plus exigeantes et laborieuses à la fois accessibles et agréables31. Il s’attarde sur ses conceptions en matière d’éducation qui préfigurent clairement les propos alors particulièrement prisés d’un Jean-Jacques Rousseau dans ce domaine :
L’un des chefs-d’œuvre de Montaigne est l’application lumineuse et piquante de son principe : suivre la nature à l’institution des enfans. C’est là que le premier il a décrié ces geoles de la jeunesse captive qui retentissent à toute heure des cris d’enfans suppliciés et de maître enivrés de colère. C’est là qu’il apprend à former et endurcir le corps pour fortifier l’ame, à exercer l’ame plus encore que l’esprit, et pour dresser l’esprit à se bien garder de verser des mots dans la mémoire32.
Prônant le principe d’une tête « bien faite », l’auteur s’oppose au verbiage et au babillage inutiles des maîtres comme des élèves33. Il propose au contraire un apprentissage par imprégnation qui invite l’enfant à demeurer à l’écoute du monde qui l’entoure et au maître de rendre son enseignement agréable et vivant. Vincens considère que la réflexion de l’écrivain sur la nécessité de s’adapter à la spontanéité des enfants et au caractère changeant de leur nature est révélatrice des principes qu’il applique dans ses propres œuvres. C’est précisément dans cet état d’esprit propice à la fantaisie qu’il décèle le « génie extraordinaire » de Montaigne :
Cette force de conception et de pensée qu’on nomme le génie, et au même degré un abandon sans réserve aux impulsions de la nature, voilà d’abord ce que nous reconnoissons en lui, rare assemblage de dons précieux que personne peutêtre ne posséda jamais si bien assortis. Si le génie est un don extraordinaire, son développement appartient aux circonstances favorables au milieu desquelles il fut placé par le hasard34.
L’auteur rattache alors directement les qualités de Montaigne à l’éducation souple et insouciante reçue auprès de son père35. Il rappelle alors les « sons harmonieux » chargés de sortir doucement le jeune garçon du sommeil :
Mais si cette facilité gracieuse qu’on appelle l’abandon est aussi un don de la nature, quelles circonstances fortunées, quelles prévoyantes mains la développèrent chez Montaigne ? C’est à l’amour paternel comme à un heureux instinct qu’il fut donné de deviner le génie extraordinaire dont cet enfant seroit doué, et la culture non moins singulière qui lui étoit convenable. Un excellent père, s’élevant dans sa simplicité au-dessus des préjugés de son siècle, eut le bonheur de ne vouloir que la nature pour guide dans la première éducation de son fils. L’amour, l’indulgence, le respect pour la liberté dans laquelle le corps et l’esprit aiment à croître, entourèrent le berceau de Montaigne. A ces premières impressions remontent les germes de la modération, de la douceur, des sentimens affectueux, du naturel abandon qui pour toujours s’allièrent à son génie. Peindrai-je les soins inouïs de ce tendre père qui réveilloit son enfant par les sons harmonieux, pour éloigner de lui les impressions violentes ou subites ? 36
Si elle apparaît de manière succincte, l’anecdote est précédée d’une description des effets produits par l’audition musicale et « le naturel abandon » qu’évoquera également Delécluze au sujet de la petite auditrice du tableau de Léopold Robert en 1824. En considérant que le génie extraordinaire de Montaigne a été révélé par son éducation atypique, l’auteur dépasse un préjugé romantique fondé sur une inspiration divine ou surnaturelle ou sur un talent précoce de l’enfant. Vincens insiste sur l’amour, l’indulgence, la modération et la douceur propre à l’éducation offerte par le père de Montaigne. Ces qualités et vertus transmises symboliquement par l’expérience musicale correspondent aux pouvoirs régulièrement attribués à l’art des sons depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment par Diderot et Rousseau37. Au moment où Vincens et ses concurrents prennent la plume pour faire l’éloge de Montaigne, ils sont relayés par d’innombrables auteurs français, de Stendhal à Germaine de Staël et à Quatremère de Quincy38.
L’essai de Vincens se poursuit avec une description de l’apprentissage peu conventionnel du latin, fondé sur une pratique orale plutôt que sur l’apprentissage laborieux d’une grammaire latine :
Lui-même élevé sans lettres, mais frappé de l’éclat naissant des études, il recherche les premiers érudits du siècle pour en faire les instituteurs de son fils. […] Il ne lui fait enseigner le latin qu’en entourant son enfance de serviteurs qui ne lui parlent jamais d’autre langage. Le père et la mère apprennent eux-mêmes les mots étrangers de cette langue, pour que leur fils n’en entende pas d’autre dans leur bouche : ce fut la première qui frappa ses oreilles et qu’il balbutia […]39.
Vincens prend soin de souligner l’éducation auditive de Montaigne, en mettant en lumière la manière dont celle-ci a pu développer son imagination, son invention, l’aisance gracieuse et naturelle de son style. L’éveil musical enfante ici le génie, un terme omniprésent dans l’ouvrage.
Fig.2 Nicolas Ponce d’après Clément-Pierre Marillier, Portrait de Montaigne, estampe (chalcogravure au burin), H. 38, 3; L. 26, 4cm., gravure n°40 des «IllustresFrançais »(1816), Paris, chez l’auteur, 1790-1816, Bordeaux, Bibliothèque,fonds estampes (EST 217 PF). Domaine public–Licence Creative Commons. Marque du Domaine Public1.0.
En 1816, quatre ans après l’éloge de Vincens, une estampe est consacrée à Michel de Montaigne parmi les cinquante-six portraits d’Illustres français dessinés par ClémentPierre Marillier et gravée par Nicolas Ponce, qui est également l’auteur des notices biographiques. Comme chacun des portraits honorifiques, le buste du personnage est entouré de petits tableaux représentant les épisodes les plus emblématiques de sa vie et d’une courte notice. La planche dédiée à Montaigne fait directement écho aux propos de Vincens et aux épisodes marquants de la jeunesse de l’écrivain mis en valeur dans son éloge [fig.2]. Placé devant une bibliothèque, le portrait de l’auteur du XVIe siècle, figuré de profil, dans un médaillon, est situé entre deux statues allégoriques de la Vérité et de la Sagesse. Un bandeau de trois vignettes est consacré à l’éducation du jeune homme et figure différents épisodes de sa vie. La vignette centrale représente Montaigne en peintre pour symboliser la dimension autobiographique de ses Essais [fig. 3]. Dans son ouvrage, Vincens rapprochait d’ailleurs, par le biais d’une métaphore filée, la figure de Montaigne de celle d’un peintre maniant la couleur avec virtuosité, afin de qualifier son style libre et lumineux :
Ne cherchons pas à quelle ligne son imagination lui a fourni un mot heureux, un trait saillant ; c’est partout qu’elle anime et colore son style : il étincelle. Ce n’est pas chaque expression qui brille, ce sont des tableaux entiers. Voyez la peinture de cet érudit qui, pâle, défait et accablé de fatigue, sort après minuit de l’étude, content d’apprendre à la postérité la mesure des vers de Plaute ou la vraie orthographe d’un mot latin. […] Montaigne n’a rien qui le presse, rien à démontrer rigoureusement. Il peint l’homme, et où que son pinceau touche, c’est toujours avancer l’ouvrage. Par où qu’il commence, les matières se tiennent, les pensées se présentent en foule et s’enchaînent l’une à l’autre40.
Fig.3 Nicolas Ponce d’après Clément-Pierre Marillier, Portrait de Montaigne (détail), estampe (chalcogravure au burin), gravure n°40 des « Illustres Français » (1816), Paris, chez l’auteur, 1790-1816, Bordeaux, Bibliothèque, fonds estampes (EST 217 PF). Domaine public – Licence Creative Commons. Marque du Domaine Public 1.0.
De part et d’autre de cette scène centrale, deux tableaux miniatures évoquent l’éducation reçue par le jeune Montaigne avant l’âge de sept ans et sa scolarité au collège de Guyenne. La vignette de droite illustre son apprentissage du latin, en plein air, lors d’une promenade avec les valets du château [fig. 4].
Fig.4 Nicolas Ponce d’après Clément-Pierre Marillier, Portrait de Montaigne (détail), estampe (chalcogravure au burin), gravure n°40 des « Illustres Français » (1816), Paris, chez l’auteur, 1790-1816, Bordeaux, Bibliothèque, fonds estampes (EST 217 PF). Domaine public – Licence Creative Commons. Marque du Domaine Public 1.0.
Fig.5 Nicolas Ponce d’aprèsClément-PierreMarillier, Portrait de Montaigne (détail), estampe (chalcogravure au burin), gravure n°40 des « Illustres Français » (1816), Paris, chez l’auteur, 1790-1816, Bordeaux, Bibliothèque, fonds estampes (EST 217 PF). Domaine public – Licence Creative Commons. Marque du Domaine Public 1.0.
Celle de gauche est consacrée à son réveil en musique, orchestré chaque matin par son père. Marillier imagine ainsi deux musiciens de cour, un joueur de flûte traversière et un hautboïste donnant un concert devant le lit du jeune garçon [fig. 5]. Ces scènes de l’enfance de l’écrivain et la comparaison entre sa pratique de l’écriture et l’exécution picturale intéressent particulièrement les artistes. Ces derniers trouvent dans la biographie de Montaigne des éléments mythiques d’identification capables de modeler leur image et d’illustrer la manière d’éveiller leur génie.
Une légende célébrée et interprétée par les artistes
Plus que l’apprentissage du latin, c’est bien l’anecdote consacrée à la musique qui concentre l’attention et donne lieu à plusieurs interprétations iconographiques au XIXe siècle41. Rendues populaires par des estampes diffusées dans la presse du temps, ces représentations illustrent une légende célébrée de bouche à oreille au fil des ans dans les milieux lettrés. Reprenant librement la vignette de la série des Illustres français de Marillier, elles s’inscrivent dans le mouvement d’essor des scènes de genre historiques, dont les sujets anecdotiques sont puisés dans les biographies souvent légendaires des grandes figures de la littérature, de l’histoire et de l’art des siècles passés42. Élève de Vincent et de David, le peintre et lithographe français Pierre-Nolasque Bergeret, spécialisé dans ce type de représentations, expose au Salon de 1819 une toile intitulée « L’éducation de Michel de Montaigne »
[fig. 6]43. Le tableau de petit format rectangulaire, étiré dans le sens de la hauteur, propose un portrait de famille, où le groupe composé de l’écrivain entouré de ses parents et d’une nourrice fait songer, par son schéma iconographique, à une Sainte-Famille. Pour évoquer la liberté laissée au bambin, invité à agir selon ses désirs et sa nature, le peintre choisit de figurer le corps dénudé du jeune enfant, dans une posture maniériste un peu maladroite censée correspondre aux canons de l’école bellifontaine et qui renforce sa ressemblance avec l’Enfant Jésus. Assis sur un large coussin qui recouvre un siège en osier, il regarde sa mère et lui effleure la main dans un geste de tendresse. L’affection entre les protagonistes transparaît aussi dans les regards qu’ils s’adressent. Élégamment vêtue, la mère tient un livre dont elle marque une page du doigt. Derrière elle, est accoudée la nourrice du garçon, à moins qu’il ne s’agisse d’une domestique de la demeure familiale. Celle-ci tient une soucoupe sur laquelle est posée une tasse et observe la scène avec bienveillance. Légèrement en retrait sur la gauche, le père de l’artiste joue, pour apaiser l’enfant, d’un pseudo mandora – instrument fantaisiste qui renvoie à l’ancienne famille des luths, emblématique de la vie harmonieuse et de la noblesse de cour aux XVIe et XVIIe siècle.
Fig.6 Pierre-Nolasque Bergeret, L'Enfance de Michel Montaigne, Salon de 1819, peinture à l’huile sur toile, H.46, ;L. 38, 5cm., Libourne, musée des Beaux-arts et d’archéologie (inv.D. 820.1.3) © Musée des Beaux-Arts de Libourne / Jean-Christophe Garcia.
La toile est accompagnée d’une courte description erronée, publiée dans le livret du Salon, où il est curieusement question d’une « guitare », instrument en vogue depuis la fin du XVIIIe siècle :
Cet illustre philosophe français rapporte que son père le réveillait tous les matins au son d’une guitare44.
Tous les regards des adultes convergent vers le jeune garçon. Cette attention portée à l’enfant est soulignée par la composition en V et par la position de l’enfant dont la tête est placée légèrement à gauche de l’axe médian vertical. La robe imposante ornée d’un col de dentelle blanche et de fines broderies noires de la mère – qui est pourtant la grande « absente45 » des Essais, s’harmonise avec le riche vêtement du père, directement inspiré du portrait de Baldassare Castiglione peint par Raphaël en 1515 [fig. 7]. L’identification de Pierre Eyquem à l’écrivain et au diplomate florentin témoigne du succès de son manuel de savoir-vivre dans l’Europe renaissante46, où la pratique du luth est vivement conseillée.
Fig.7 Raphael, Portrait de Baldas sare Castiglione, 1514-1515, peinture à l’huile sur toile, H.82; L.67cm, Paris, musée du Louvre, inv. 611 © 2011 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querec
Cette référence à l’éducation libérale exemplaire et au savoir-vivre du courtisan, la somptuosité du costume des parents, la présence d’une domestique et le décor majestueux composé d’une loggia à colonnes doriques, d’un imposant drapé et de paravents moulurés indiquent l’origine noble de la famille de Montaigne et son ambition en matière d’éducation pour le jeune écrivain. En accordant à la mère une place centrale et en plaçant l’instrument de musique dans les mains du père, l’artiste dépeint ici une cellule familiale harmonieuse, relativement éloignée du récit initial de Montaigne.
Ce thème iconographique est de nouveau exploré par Charles Alexandre Debacq lors du Salon de 183847, année de la publication des Œuvres complètes de Montaigne, précédées d’une notice biographique de Buchon, où l’anecdote ne figure toutefois pas48. Le tableau qui n’est pas localisé est connu par une lithographie de Jules-Robert Challamel publiée la même année dans la revue L’Artiste et dans la Revue des peintres [fig. 8]49.
Fig.8 Jules-Robert Challamel d’après Charles Alexandre Debacq, Enfance de Montaigne, Salonde 1838, lithographie, H. 17, 4 ; L. 21, 9cm, Paris, Imp. De Lemercier, Bernard & Cie, 1838, parue dans L’Artiste en 1838 (« Beaux-arts, Salon de 1838, 4earticle», p. 105). Bordeaux, Bibliothèque municipale de Bordeaux. Domaine public – Licence Creative Commons. Marque du Domaine Public 1.0.
Dans L’Artiste, l’estampe est accompagnée d’un commentaire critique qui loue « l’esprit », « la sensibilité » et le « goût » de la composition, en dépit d’une manière jugée désincarnée du point de vue du dessin et de la couleur. La scène se situe cette fois en pleine nature, dans un coin de jardin ombragé par le feuillage des arbres et un drap noué aux branches. Michel de Montaigne est représenté bébé, allongé dans un berceau imposant. Il est entouré de cinq musiciennes qui exécutent un concert en plein air inspiré de ceux figurés par Titien ou Véronèse50. Parmi elles, on distingue une joueuse de basse de viole, une chanteuse et une jeune fille tenant la partition. Ces dernières semblent surgir de représentations antérieures exposées au Musée du Louvre, à l’instar de la Sainte Cécile du Dominiquin (avec sa viole de gambe aux formes chantournées et devant un putto qui lui tend une partition) et surtout du concert des Muses Melopomène, Erato et Polymnie d’Eustache Le Sueur [fig. 9 et 10].
Fig.9 Domenico Zampieri dit Le Dominiquin, Sainte Cécile avec un ange tenant une partition, vers 1617-1618, peinture à l’huile sur toile, H. 160 ; L. 120 cm., Paris,musée duLouvre (inv.793, collection de Louis XIV (acquis en1662) © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Fig.10 Eustache La Sueur, Les Muses Melpomène, Erato et Polymnie, entre 1652-1655, peinture à l’huile sur toile, H. 130 ; L. 130 cm., Paris, musée du Louvre (inv. 8058) © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Elles sont accompagnées par la mère du nourrisson qui joue d’un invraisemblable luth à manche long à proximité du berceau de l’enfant. De l’autre côté, son père assis porte un regard attentionné à sa progéniture. Ici encore, les parents semblent curieusement jouer un rôle plus important que celui auquel le récit original les cantonnait. Toutefois, c’est bien la présence de nombreuses femmes musiciennes autour du berceau qui attire l’attention. Ce sont elles qui produisent l’effet miraculeux destiné à éveiller l’esprit de l’enfant et jouent ainsi le rôle de muses ou de divines inspiratrices. Considérée comme étant l’apanage du féminin, la musique harmonieuse aux vertus enchanteresses donne lieu à une iconographie abondante au XIXe siècle où les figures de musiciennes, réelles ou légendaires, occupent une place de choix51. Debacq est sans doute l’artiste qui prend le plus de libertés à l’égard du récit initial de Montaigne, en adoptant un schéma iconographique en vogue, associé à l’inspiration musicale. Le répertoire interprété n’est plus seulement dédié à un timbre instrumental soliste, mais à un ensemble à la fois vocal et instrumental. Ces trois voix de femmes accompagnées par une basse continue peuvent, par exemple, faire songer aux madrigaux chantés par le prestigieux Concerto delle Donne à la Cour l’Alfonso de Ferrare à la fin du XVIe siècle. Par ailleurs, cette vision de l’enfant au berceau entouré de femmes qui le dotent des qualités poétiques dont il jouira plus tard peut également être envisagée comme une réécriture de la Belle au bois dormant de Charles Perrault, au travers des dons musicaux, de beauté et d’amour des bonnes fées à la très jeune princesse. Dans cette version fantasmée, Debacq souligne l’enfance extraordinaire du jeune écrivain, élevé au rang de prince.
Quelques années plus tard, l’anecdote de Montaigne est de nouveau citée dans le numéro de janvier 1840 du Musée des Familles. Isidore Leloir exécute une vignette chalcogravée d’après un dessin de John Andrew pour illustrer une nouvelle de Samuel-Henry Berthoud52. L’image reprend le récit de Montaigne avec plus de précision que Bergeret et Debacq et renoue avec l’iconographie de la vignette dessinée par Marillier pour la série des Illustres français. La scène composée est toutefois plus intime et pittoresque. Le jeune écrivain est allongé dans son lit, tandis qu’un étrange luthiste coiffé d’un béret à plume et assis dans un fauteuil dissimulé derrière un rideau, le réveille paisiblement en musique [fig. 11].
Fig. 11 John Andrew, Adolphe Best, Isidore Leloir, Le Réveil de Montaigne enfant, 1840, estampe (xylogravure auburin), H.6,5; L.10,7cm., monogramme ALB, publié dans le Musée des Familles. Lectures du soir, VIIe volume, janvier 1840, p. 100. Paris, Bibliothèque nationale de France – Gallica.
Cette planche gravée illustre un essai légendaire sur la vie du Tasse tiré d’un ouvrage sur la vie légendaire de Pierre-Paul Rubens publié la même année. Montaigne qui fait l’objet du premier chapitre n’apparaît qu’en tant que personnage secondaire de l’intrigue. Berthoud invente la rencontre purement fictive et chronologiquement impossible entre Rubens et Montaigne. Il imagine une scène dans l’atelier du peintre où l’auteur des Essaisraconte à l’artiste en plein travail ses souvenirs d’enfance et les fondements de son éducation. Dans ce récit qui paraphrase le chapitre XXV des Essais, l’anecdote librement agrémentée du réveil musical, au son, cette fois, d’une mandoline, exemplifie à elle-seule l’enfance idéale de l’écrivain et met en lumière la source de son génie naturel :
On me faisait goûter la science, comme le devoir, par mon propre désir et sans forcer ma volonté. On m’éleva donc bien doucement avec toute liberté et avec une telle sollicitude que pour ne pas troubler mon cerveau encore tendre en l’arrachant avec violence au sommeil profond ordinaire aux enfans, mon père me faisait réveiller, non pas en sursaut et brutalement, mais par la musique agréable et récréative d’une mandoline qui commençait d’abord à jouer tout doucement et s’élevait par gradation à une voix plus haute et plus aiguë53.
Cet épisode attire d’autant plus l’attention des lecteurs que la scène décrite fait l’objet d’une rare illustration dans une nouvelle qui n’en contient que peu. Ce traitement de faveur témoigne de la valeur poétique et de la portée didactique d’une telle légende biographique à une époque où la musique est considérée comme le premier des arts et où les figures d’auditeurs sont particulièrement valorisées, notamment par l’intense activité des salles de concert et d’opéra54. Comme l’estampe précédente de Challamel d’après Debacq, la présence de cette vignette dans le Musée des Familles atteste de la diffusion de l’anecdote dans la presse du temps et du déploiement d’une culture visuelle dédiée à la musique, à ses mythes et à ses usages poétiques ou thérapeutiques les plus modernes.
Ce sujet iconographique est de nouveau abordé par le peintre belge installé à Paris depuis 1846, Édouard Hamman [fig. 12]55. Exposé au Salon de 1847, son tableau élégant et à l’évidente justesse expressive, est intitulé Le Réveil de Michel de Montaigne enfant. Dans le sillage des œuvres de Marillier et de Leloir, la composition restitue fidèlement les propos de l’écrivain qui sont d’ailleurs rappelés, en guise de légende, dans le livret officiel de l’événement56. L’artiste représente le jeune garçon dans l’espace intérieur et intime de sa chambre à coucher, dans un somptueux lit à baldaquin aux draps défaits par une nuit de rêves. Les yeux encore clos, il étire ses bras de façon très naturelle, tandis que son père ouvre délicatement l’épais tissu satiné censé le protéger de la lumière et des ombres nocturnes. Il a fait venir au petit matin un musicien qu’il désigne d’un geste de la main tandis qu’il porte un regard plein d’attention sur son fils encore assoupi, qui concentre la luminosité la plus intense du tableau. L’instrumentiste, peint de trois quarts en léger contre-jour, joue sur un violoncelle fantaisiste au corps étrangement chantourné et à la volute bizarrement inclinée. Ces éléments évoquent, de façon naïve, l’ancienne viole de gambe et font songer aux instruments joués par l’une des musiciennes de l’œuvre de Debacq ou à la viole représentée de profil dans les NocesdeCana57. Le timbre du violoncelle jugé le plus proche de la voix humaine peut ici faire écho au naturel prôné par Montaigne dans les Essaiset semble jouer le même rôle que la nudité et les paysages boisés observés dans certaines représentations plus anciennes (voir fig. 4, 6, 8 et 12). Installé au chevet du garçonnet et absorbé dans sa partition déposée contre une pile d’ouvrage, il s’applique à produire des sons mélodieux destinés à éveiller paisiblement son jeune auditeur. Figuré sur l’axe médian vertical, Pierre Eyquem domine ce trio restreint et rapproche les deux figures absorbées du musicien en pleine interprétation et de l’auditeur abandonnant ses fantaisies intérieures à mesure qu’il s’éveille. Le soin porté au décor permet de comprendre que le garçonnet se mettra bientôt à l’étude. Un livre est déjà posé sur son pupitre dans cet espace confortablement meublé, tandis que les autres sont rangés sur une étagère à proximité d’un encrier et d’une plume suspendue au mur. Lithographiée en 1870 par Auguste Laguillermie, l’œuvre de Hamman semble avoir donné à la légende son image définitive.
Fig.12 Edouard Hamman, Le réveil de Michel de Montaigne enfant, 1847, peinture à l’huile sur bois, Anvers, musée royal des Beaux-Arts (inv. nr. 1365) CC0 Flemish Community, Collection KMSKA / Hugo Maertens
Ce corpus iconographique dédié à l’enfance de Michel de Montaigne révèle des œuvres qui semblent inspirées les unes des autres, où le nombre de protagonistes et surtout le type d’instrument (non précisé dans la seconde édition historique des Essaisqui sert de base aux diverses rééditions),varient au fil des interprétations et donnent lieu à de nombreuses invraisemblances, notamment organologiques58. L’iconographie musicale en vogue au XIXe siècle se traduit ici par des interprétations originales où l’auditeur est plus célèbre que les musiciens et l’écoute davantage mise en valeur que l’exécution virtuose d’un interprète. Ici, le concert n’a de valeur que dans sa capacité à adoucir l’esprit, à élever l’âme, à émouvoir le cœur ou à nourrir l’imagination.
La réécriture romantique d’un souvenir d’enfance
Plus que de louer les vertus de la musique, cette anecdote permet à Montaigne de rendre hommage à la figure paternelle et à l’implication de ce dernier dans l’éducation qu’il a reçue durant la petite enfance et à laquelle il est vigoureusement attaché. D’ailleurs, les références à l’art sonore sont très marginales dans les Essaiset la figure de l’auditeur n’est pas particulièrement valorisée dans le récit. Montaigne explique, en effet, à la suite de l’anecdote que le délassement musical qui lui a été offert a pu encourager son penchant naturel à l’oisiveté et à la mollesse59 :
Cet exemple suffira pour en juger le reste, et pour recommander aussi et la prudence et l’affection d’un si bon pere : Auquel il ne se faut prendre, s’il na recueilly aucuns fruits respondans à une si exquise culture. Deux choses en furent cause : en premier, le champ sterile et incommode. Car quoy que j’eusse la santé ferme et entiere, et quant un naturel doux et traitable, j’estois parmy cela si poisant, mol et endormy, qu’on ne me pouvoit arracher de l’oisiveté, non pas pour me faire jouer. Ce que je voyois, je le voyois bien ; et souz cette complexion lourde, nourrissois des imaginations hardies, et des opinions au dessu de mon age. L’esprit, je l’avois lent, et qui n’alloit qu’autant qu’on le menoit : l’apprehension tardive, l’invention lasche, et après tout un incroyable defaut de mémoire. De tout cela il n’est pas merveille, s’il ne sceut rien tirer qui vaille. Secondement, comme ceux que presse un furieux desir de guerison, se laissent ailler à toute sorte de conseil, le bon homme, ayant extreme peur de faillir en chose qu’il avoit tant à cœur, se laissa en fin emporter à l’opinion commune, qui suit tousjours ceux qui vont devant, comme les grues ; et se rengea à la coustume, n’ayant plus autour de luy ceux qui luy avoient donné ces premieres institutions, qu’il avoit apportées d’Italie : et m’envoya environ mes six ans au college de Guienne, très-florissant pour lors, et le meilleur de France60.
Cette partie conclusive du récit est littéralement passée sous silence au XIXe siècle au profit d’un éloge des pouvoirs de la musique. Si, au temps de Montaigne, l’audition musicale est associée à une culture de l’otium dont l’un des écueils est la passivité et l’inaction, elle est au contraire associée à une intense activité de l’imagination à l’époque romantique. Dès lors, elle témoigne d’une éducation jugée libre, naturelle et empirique, inspirée, de manière téléologique, par le modèle rousseauiste61. Les affinités, à deux siècles d’écart, entre l’auteur des Essais et celui des Confessions sont incessamment soulignées au XIXe siècle, au point que la fortune critique de l’éveil musical du jeune Montaigne paraît indissociable des pensées de Rousseau sur la musique et l’éducation. Cette filiation est soulignée par plusieurs auteurs en 1812, dans le cadre du concours d’éloges de Montaigne à l’Institut62. La nécessité louée par le philosophe des Lumières, en digne héritier de Montaigne, de développer, dès la petite enfance, une connaissance empirique du monde tenue éloignée des savoirs livresques transparaît clairement dans les œuvres iconographiques consacrées à la légende, y compris la toile de Hamman centrée sur le moment qui précède l’étude. Le jeune auditeur est à la fois à l’écoute de la nature environnante et de sa propre nature. Il peut ainsi s’éveiller au monde et accéder à une forme de plénitude. Cette vie harmonieuse correspond à un idéal exprimé par Rousseau dans une lettre à Marc Antoine Louis de la Tourette où la musique – écoutée plutôt que jouée – et la nature s’associent au plaisir de la promenade :
S’il m’étais donné de choisir une vie égale et douce, je voudrais, tous les jours de la mienne, passer la matinée […] sur mon herbier ; dîner avec vous et Mélanie ; nourrir ensuite, une heure ou deux, mon oreille et mon cœur, des sons de sa voix et de ceux de sa harpe ; puis me promener tête à tête avec vous le reste de la journée, en herborisant63.
Au XIXe siècle, l’auteur des Essais suscite ainsi un véritable engouement, non seulement en raison de son esprit encyclopédique avant l’heure, mais surtout de la place qu’il accorde à la nature, à l’affirmation du Moi dans sa subjectivité et à la fantaisie64. Si, pour JeanJacques Rousseau65 et Bernardin de SaintPierre66, Montaigne correspond à un modèle de sagesse et de spiritualité, les romantiques le considèrent comme un génie mû par l’enthousiasme, doté d’une imagination féconde, d’un puissant pouvoir d’invention et d’une empathie infinie. C’est ainsi que l’écrivain du XVIe siècle apparaît sous la plume de Ballanche. Il offre alors une source d’inspiration incomparable à l’auteur dans son essai intitulé Du sentiment dans la littérature et les arts publié en 1801 :
[…] aucun écrivain n’a pu parvenir à imiter cette allure franche et gaie, ni cette bonhomie qui cache quelquefois tant de profondeur. Savezvous pourquoi Montaigne a si bien peint le cœur humain ? C’est qu’il s’était accoutumé à lire dans son propre cœur : il s’est reflété tout entier dans son livre. Quel est l’homme de lettres qui n’aime pas à embellir ses ouvrages de quelques traits de Montaigne. Ce génie original a écrit sur tout : ses Essaissont un champ fertile, où l’on trouve des plantes de tous les climats. Je me suis moi-même quelquefois surpris dans le jardin de Montaigne, cueillant quelques fleurs que j’ai essayé de joindre à ma guirlande sentimentale. Lecteur, tu as souri de la maladresse de mon larcin67.
Dans le récit originel du réveil en musique énoncé par Montaigne, la musique est censée réguler les passions, apaiser les tensions et générer une harmonie entre l’âme et le corps fondée sur un principe supérieur de justesse et de tempérance. Elle permet de sortir délicatement de l’irrationnel pour se mettre aux études sérieuses, être dans de bonnes dispositions pour l’apprentissage des sciences libérales. Or, la réappropriation romantique de la légende tend à occulter cet aspect, à l’exception du tableau d’Hamman qui conserve la référence à la finalité pédagogique d’un tel rituel. Toute référence au Quadrivium est effacée au XIXe siècle, au profit d’une vision de la musique comme un art du vague, de l’irrationnel et de la subjectivité. Par ailleurs, la mise en valeur, dans l’anecdote de Montaigne, de sonorités purement instrumentales conforte l’essor d’un tel répertoire et ses aspirations à exprimer l’indicible.
Au XIXe siècle, l’expérience musicale vécue par le jeune Montaigne n’est plus décrite comme une activité qui permet d’être dans de bonne disposition pour l’étude mais devient un but en soi, autorisant à agir selon sa fantaisie. La musique apparaît comme la source d’une inspiration naturelle voire surnaturelle corrélée aux songes harmonieux et une preuve irréfutable d’originalité, de beauté morale et d’authenticité expressive. Si elles mettent également en lumière la force de l’imagination, les œuvres consacrées à l’éveil musical de Montaigne s’opposent ainsi, d’un point de vue moral, à la célèbre gravure de Francisco de Goya, Le Sommeil de la raison engendre des monstres [fig. 13].
Fig. 13 Francisco de Goya, « Le Sommeil de la raison engendre des monstres » [« El sueno de la razon produce monstruos»], Los caprichos, Madrid, 1799, eau-forte et taquatinte, H.21,6; L.15,2cm, p.43. Paris, Bibliothèque nationale de France - Gallica
Le demi-sommeil lorsqu’il est accompagné d’une musique harmonieuse engendre un enthousiasme créatif propice à l’épanouissement du génie. Le poète échappe ainsi au spleen, non pour se mettre à l’étude, mais pour transmettre ses visions au moyen de l’art ou de la littérature, au travers de formes libres émancipées des principes rhétoriques. C’est d’ailleurs ce que semble suggérer en creux François-René de Chateaubriand dans ses Mémoires d’Outre-tombe publiés en 1848. L’écrivain fait le récit de sa propre enfance tourmentée qu’il met en parallèle avec l’éducation idéale de Michel de Montaigne. Il s’identifie à l’auteur des Essais et réécrit l’anecdote à l’aune de ses propres souvenirs des nuits passées au château familial de Combourg en Bretagne68. Le jeune Chateaubriand se compare à Montaigne et fait de la rudesse de son éducation la source de sa bile noire :
Lorsque la lune brillait et qu’elle s’abaissait à l’occident, j’en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losangés de la fenêtre. Des chouettes, voletant d’une tour à l’autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l’ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois, le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois il laissait échapper des plaintes ; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore. A quatre heures du matin, la voix du maître du château, appelant le valet de chambre à l’entrée des voûtes séculaires, se faisait entendre comme la voix du dernier fantôme de la nuit. Cette voix remplaçait pour moi la douce harmonie au son de laquelle le père de Montaigne éveillait son fils. L’entêtement du comte de Chateaubriand à faire coucher un enfant seul au haut d’une tour pouvait avoir quelque inconvénient ; mais il tourna à mon avantage. Cette manière violente de me traiter me laissa le courage d’un homme, sans m’ôter cette sensibilité d’imagination dont on voudrait aujourd’hui priver la jeunesse69.
Dans le récit de Chateaubriand, le sommeil profond et paisible se transforme en nuits agitées, hantées par le cauchemar et les visions terrifiantes. Les bruits étranges et stridents se substituent à la douce musique de quelque instrument. L’écrivain convoque a contrario un imaginaire musical traditionnel qui associe les sonorités harmonieuses à l’accord et à l’entente des âmes entre-elles ainsi qu’à l’amour filial. La dissonance ou l’absence d’harmonie deviennent ainsi, sous sa plume, la métaphore d’une enfance malmenée et d’un manque affectif à l’origine de sa profonde mélancolie. Dans le même temps, l’auteur prend soin de souligner sa proximité d’esprit avec l’auteur des Essais,sa profonde réceptivité au son et la « sensibilité d’imagination » propre à la fragile insouciance de la petite enfance, particulièrement valorisées par les romantiques70.
L’enfant auditeur ou l’éducation du génie singulier
En 1822, le critique et théoricien de l’art Auguste Hilarion de Kératry cite, dans une version tronquée, la formule la plus célèbre du premier chapitre des Essais de Montaigne dans son ouvrage intitulé Dubeaudans les arts d’imitation: « C’est un être merveilleusement divers et ondoyant que l’homme71. » Considérant le « besoin d’émotions » comme la « première source de l’art », l’auteur souligne la nécessité pour l’homme d’avoir le cœur rempli d’affects, afin d’échapper au vide tragique de l’ennui. Dans ce contexte, la fascination exercée par la liberté formelle, la profondeur réflexive et l’inventivité des Essaisest comparable aux effets alors attribués à la musique, seul art permettant de prolonger les fantaisies du rêve et d’ouvrir la voie à une peinture expressive du monde. L’épisode autobiographique de l’éveil musical du jeune auteur cristallise ces conceptions au moyen d’un récit particulièrement évocateur. Citée par plusieurs auteurs lors du concours d’éloges de 1812, l’anecdote est finalement conservée dans la notice biographique qui accompagne l’édition complète des Essais éditée en 186272.
L’appropriation romantique du récit de Montaigne alimente le mythe du génie inspiré par les fantaisies vagues de l’enfance tout en soulignant la nécessité d’une éducation musicale dès le plus jeune âge. Célébrée par les artistes, celle-ci repose sur une pédagogie avantgardiste pour l’époque, fondée exclusivement sur l’écoute et sur l’imagination. Régulièrement associée à la notion de génie depuis la Renaissance73, l’imagination apparaît, de Diderot à Baudelaire, comme une faculté essentielle. Loin de ne concerner que l’artiste confirmé, elle touche un public qui ne cesse de s’élargir au fil du siècle et où se mêlent les jeunes gens en formation, les dames issues de l’aristocratie et de la bourgeoisie, les artistes et écrivains en herbe, mais aussi les jeunes enfants. Dès lors, cette faculté que possède l’esprit de se représenter intérieurement des images ou de créer des associations subjectives devient un enjeu crucial de l’éducation artistique et de sa démocratisation (un terme qui apparaît d’ailleurs en 1797, au lendemain de la Révolution française). Dans ce contexte, le jeune Montaigne aux côtés de son père figuré par Hamman et la petite paysanne napolitaine étendue sur les genoux de sa mère représentée par Léopold Robert constituent un même idéal égalitaire où les plus belles harmonies résonnent avec les mêmes effets dans toutes les petites oreilles. Le délassement sérieux qu’ils incarnent74 permet de dépasser un lieu commun de la modernité qui repose sur le préjugé entretenu à la même époque d’un génie inné de l’artiste75. Exprimé par une virtuosité précoce, ce dernier est délaissé au profit du génie singulier stimulé dans l’enfance grâce à une éducation à la fois empirique et créative des sens. Montaigne nous rappelle que les jeunes auditeurs sont des princes (et princesses) apaisés, quittant doucement, au son d’une chanson grise, leurs châteaux de brumes pour explorer le monde. L’éducation consisterait, dès lors, à favoriser une capacité d’écoute inventive dont l’audition musicale sera la métaphore.
1. Voir : Laurinda S. Dixon, The dark side of genius. The melancholic persona in art, ca. 1500-1700, Pennsylvania, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2013, p. 139-159.
2. Voir : Philippe Junod, « Voir écouter : pour une iconographie de l’auditeur » dans M. Leclair, P. Junod, A. Paradis et al., Voirla musique, Paris, FMSH, 2009, p. 10-27. Cette attention dépasse le monde des lettres et des arts aux XVIIIe et XIXe siècles et intéresse aussi le monde des sciences, ainsi qu’en témoignent les travaux du scientifique Pierre Estève (Nouvelle découverte du principe de l'harmonie avec un examen de ce que M. Rameau a publié sous le titre de « Démonstration de ce principe», Paris, Huart et Moreau fils, 1752) et du médecin Peter Lichtenthal (Trattato dell'influenza della musica sul corpo umano e del suo uso in certe malattie, Milano, G. Maspero, 1811).
3. Étienne-Jean Delécluze, Notice sur la vie et les ouvrages de Léopold Robert, Paris, Rittner et Goupil, 1838, p. 99-100.
4. Je reprends ici l’expression employée par Madeleine Lazard (Michel de Montaigne, Paris, Fayard, 1992, p. 51-65) dans son chapitre sur la jeunesse de Montaigne, intitulé « Du paradis de l’enfance ».
5. Montaigne, Essais I, éd. J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, Pléiade, I, XXV « De l’institution des enfans », p. 181.
6. Voir : Albert Pomme de Mirimonde, « Edouard Hamman et l’histoire de la musique en peinture », Antwerpen, Kon. Museum voor schone Kunsten, 1973, p. 274-276 (« Montaigne avait retouché ce texte et, dans la première édition des Essais, il avait écrit “et avoit un joüeur d’espinette à cet effect”) et Madeleine Lazard, op. cit., note 4, p. 59.
7. Montaigne, op.cit.,note 5, p. 181.
8. Voir : Florence Gétreau, Voir la musique, Paris, Citadelles et Mazenod, 2017, p. 108-144 ; Amandine Lebarbier, «Cette jolie muse chrétienne ». La figure de sainte Cécile dans la littérature et les arts en Europe au XIXesiècle, thèse en littérature comparée sous la direction des professeurs W. Marx et d’E. Reibel, soutenue le 9 décembre 2017 à l’Université Paris Nanterre, ouvrage à paraître aux Presses Universitaires de Paris-Sorbonne. J’ai également abordé la place de ces figures d’auditeurs dans ma thèse : L’imaginaire musical et la peinture en France: mythes, pratiques et discours, thèse de doctorat en histoire de l’art sous la codirection de Pierre Wat et de François-René Martin, soutenue le 13 décembre 2019, Université Paris I Panthéon-Sorbonne/École du Louvre, voir en particulier p. 45-97 et p. 123-126.
9. Voir : Thomas Connolly, Mourning into joy : music, Raphael and Saint Cecilia, London/New Haven, Yale University press, 1994, p. 105.
10. Voir Madeleine Lazard, op.cit.,note 4, p. 55.
11. Album Montaigne. Iconographie choisie et commentée par Jean Lacouture, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2007, p. 39.
12. Voir : Madeleine Lazard, op.cit.,note 4, p. 56-58.
13. Cet épisode est d’ailleurs rappelé dans la biographie de Montaigne de Madeleine Lazard (cf.ibidem).
14. Montaigne, op.cit.,note 5, XXV « De l’institution des enfans », p. 165.
15. Voir : John D. Lyons, Before Imagination: Embodied Thought from Montaigne to Rousseau, Stanford University Press, 2005, p. 32-60.
16. Montaigne, op.cit.,note 5, XXV « De l’institution des enfans », p. 181.
17. Voir : Philippe Desan, Iconographie de Montaigne. Portraits et Œuvres. Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 213-219.
18. Voir à ce sujet : « Rapport de M. Suard secrétaire perpétuel de l’Académie française sur le concours d’éloquence de l’année 1812 », dans Recueil des discours, rapports et pièces diverses lus dans les séances publiques et particulières de l’Académie française,1803-1819, deuxième partie, 1847, p. 793-806. Onze éloges sont admis à concourir à l’Institut. Le lauréat est Abel-François Villemain, âgé de seulement vingt-deux ans et professeur de rhétorique au Lycée Charlemagne. Voir : M. Villemain, Eloge de Montaigne, discours qui a remporté le prix d’éloquence décerné par la classe de la langue et de la littérature françaises de l’Institut, dans sa séance du 23 mars1812, Paris, F. Didot, 1812. Un douzième essai non parvenu est rédigé par Emile Vincens, Éloge de Michel de Montaigne, qui n’a pas concouru pour le Prix de l’Institut, Paris, Fantin, 1812.
19. Joseph Droz, Eloge deMontaigne, Paris, F. Didot, 1812. Au sujet de l’avis du jury et de la récompense au concours, voir : « Rapport de M. Suard secrétaire perpétuel de l’Académie française sur le concours d’éloquence de l’année 1812 », ibidem, p. 797.
20. Joseph Dutens, Eloge de Michel de Montaigne, discours qui a obtenu une mention honorable au jugement de la classe de la langue et de la littérature françaises de l’Institut, dans sa séance du 9 avril 1812, Paris, Didot, 1818. Durens avait concouru de manière anonyme, voir : Rapport de M. Suard secrétaire perpétuel de l’Académie française sur le concours d’éloquence de l’année 1812 », ibidem, p. 812.
21. Joseph Droz, op. cit., note 19, p. 4-5 : « La plus douce éducation forma son caractère et sa raison. Modèle de bonté, son père, en l’élevant, éloignait la contrainte, et le garantissait avec soin de la tristesse et des ennuis. Seul enfant à qui le latin n’ait point coûté de larmes. Montaigne parlait cette langue avant de savoir comment il l’avait apprise. Quand ses études interrompaient les amusemens de son âge, on voulait qu’il crût changer de jeux et de plaisirs. Un fait suffit pour montrer quelle ingénieuse tendresse dirigeait son éducation : dans la crainte d’altérer, par un brusque [p. 5] réveil, ses facultés naissantes, on l’éveillait au son des intrumens. Je ne puis méconnaître l’influence de ses premières années sur sa philosophie. Tant de soins et d’amour le disposent à fuir la dépendance, à suivre sa raison plus que l’opinion, à se plaire au sein du repos et de l’insouciance. Je vois même une éducation, quelquefois singulière, préparer la teinte originale et le charme piquant des Essais. »
22. Joseph Dutens, op. cit., note 20, p. 11-12 : « […] l’éducation que reçut Montaigne, dans ses premières années, fut toute systématique. Tout effort lui est épargné ; pour lui, ce qui n’est dû ordinairement qu’à une attention suivie, et au travail souvent pénible de la mémoire, est confié, par la tendresse paternelle, au pouvoir lent et insensible de l’habitude. Les seuls mots de cette langue, dont l’acquisition coûte ordinairement tant de larmes à l’enfance, sont les premiers qui viennent frapper son oreille ; tout ce qui l’entoure ne doit lui parler que la langue d’Horace et de Virgile, qui devient ainsi, par ce stratagème, sa langue maternelle. Celle d’Homère et de Platon ne lui est présentée bientôt après que sous l’appât d’un jeu et d’un divertissement. Enfin ce qui pourrait causer une trop vive secousse à ses organes, est soigneusement écarté ; et, tous les matins, les sons progressifs d’une musique harmonieuse viennent épargner aux fibres délicates de son cerveau l’ébranlement redouté d’un trop brusque réveil. »
23. Ibidem,p. 12.
24. Voir note 18.
25. Emile Vincens, op.cit.,note 18, p. 8-10.
26. Ibidem,p. 4.
27. Ibidem, p. 33-34 : « Il rechercha curieusement les prodiges, et il n’en vit qu’un bien grand, la force de l’imagination capable de réaliser tous les fantômes. […] L’homme avoit été transporté dans un monde idéal peuplé d’êtres imaginaires. Ce n’étoit pas l’imagination brillante de la féerie ou des poètes qui animoit les airs, les forêts et les eaux ; c’étoit plutôt une lourde création semblable à celles des épicycles des anciens astronomes, qui, pour chaque abberation apparente du cours des astres, surchargeoient leurs orbites de nouveaux cercles. »
28. Ibidem, p. 50-51.
29. Ibidem, p. 17-18.
30. Cet aspect est rappelé par Jean Lacouture qui explique que « Pierre Eyquem s’est mis en tête de faire de son fils aîné un modèle de gentilhomme humaniste », op. cit., note 11, p. 39.
31. Ibidem,p. 4.
32. Ibidem,p. 50-51.
33. Voir à ce sujet l’article de Nicolas Fréry, « Contre "l’éducation babillarde". Babil et enfance chez Rousseau », Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 2020, 120e année, no. 2, Paris, Classiques Garnier, 2020, notamment p. 343344.
34. Emile Vincens, op.cit.,note 18, p. 7.
35. Celle-ci doit toutefois être relativisée à la courte période pendant laquelle Montaigne a résidé dans la demeure familiale, entre ses deux premières années passées auprès d’une nourrice et son entrée au collège de Guyenne. Voir : C. Lafon et J. Saint-Martin, « Iconographie de Montaigne », dans Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, n°14, 1960, p. 33, cité dans Philippe Desan et Béatrice Le Cour Grandmaison, Portraits à l’essai: iconographie de Montaigne, Paris, H. Champion, 2007, p. 101.
36. Emile Vincens, op.cit.,note 18, p. 8-10.
37. Voir notamment : Georges Snyders, Le Goût musical aux XVIIeet XVIIIesiècles, Paris, J. Vrin, 1968 ; M.-P. Martin, Juger des arts en musicien: un aspect de la pensée artistique de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, 2011 ; M.-P. Martin et C. Savettieri (dir.), La musique face au système des beaux-arts, ou les vicissitudes de l’imitation, 1690-1803, Paris, 2014.
38. Voir notamment : G. de Staël, Corinne ou l’Italie, Paris, Gallimard, 1985 [1807] ; H. Beyle dit Stendhal, Histoire de la peinture en Italie, Paris, Flammarion, 1996 [1817], notamment p. 333 et De l’amour, Paris, M. Lévy, 1857 [1822] ; Antoine-Jean Chrysostome Quatremère de Quincy, Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les beaux arts, Paris, Treuttel et Wurtz, 1823, p. 103.
39. Emile Vincens, op.cit.,note 18, p. 8-10.
40. Ibidem,p. 23-25.
41. Outre les portraits de l’écrivain, ce sujet iconographique rivalise avec celui, également très populaire, de Montaigne rendant visite au Tasse en prison, représenté notamment par Louis Ducis (en 1814 et en 1819), François Marius Granet (1820), Fleury-Richard (1821) et Paul Delaroche (1822). Voir : Philippe Desan et Béatrice Le Cour Grandmaison, op. cit., note 35, p. 98-126.
42. Voir à ce sujet : Thierry Laugée, Figures du génie dans l’art français(1802-1855), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2016, p. 27-146. Voir également la thèse récente d’Eveline Deneer, Une autre histoire. Imaginaires historiques «privés» dans la peinture européenne au début du XIXesiècle, entre passé national et histoire partagée, thèse de doctorat sous la direction de Bénédicte Savoy et de Pierre Wat, soutenue le 28 novembre 2019, Technische universität (Berlin) et Université Paris I, Panthéon-Sorbonne.
43. Sur ce tableau, voir : Philippe Desan et Béatrice Le Cour Grandmaison, op.cit.,note 35, p. 101-102. Sur les peintures anecdotiques de Bergeret, voir : Thierry Laugée, op. cit., note 42, p. 147-160.
44. Livret du Salon de 1819 cité dans ibidem, p. 101.
45. Album Montaigne, op.cit., note 11, p. 50. Voir : Madeleine Lazard, op.cit., note 4, p. 52.
46. Baldassare Castiglione, Il Libro del cortegiano, con la tavola di tutte le cose degne di notitia et di più con una brieve raccolta de la conditioni che si ricercano a perfetto cortegiano et a donna di palazzo, Vinegia, 1547. L’ouvrage est traduit en français dès la fin du XVIe siècle : Le parfait courtisan du comte Baltasar Castillonois, les deux langues respondans par deux colomnes, l'une à l'autre [...], traduction de Gabriel Chapuis [Chappuys], Paris, N. Bonfons, 1585.
47. Voir : Philippe Desan et Béatrice Le Cour Grandmaison, op. cit., note 35, p. 224-225 ; Philippe Desan, op. cit., note 17, p. 156-157.
48. Jean-Alexandre-C. Buchon, Œuvres de Michel de Montaigne avec une notice biographique, Paris, Auguste Desrez, 1838.
49. La lithographie publiée dans la Revue des peintresde 1838 est imprimée par Aubert et Cie et porte le n°236.
50. Titien, Le Concert champêtre,1509, peinture à l’huile sur toile, H. 105 ; L. 136, 5 cm, Paris, musée du Louvre, inv. 71 ; Véronèse, Les Noces de Cana, 1563, peinture à l’huile sur toile, H. 677 ; L. 994 cm, Paris, musée du Louvre, inv. 142.
51. Voir à ce sujet : Amandine Lebarbier, op. cit., note 8 et le chapitre « La musique comme art féminin » de ma thèse : L’imaginaire musical et la peinture en France: mythes, pratiques et discours, thèse de doctorat en histoire de l’art sous la codirection de Pierre Wat et de François-René Martin, soutenue le 13 décembre 2019, Université Paris I PanthéonSorbonne/École du Louvre, p. 45-97 et p. 153-235.
52. Samuel-Henry Berthoud, « Etudes historiques. La Madone de Torquinto Tasso. » dans Musée des Familles, janvier 1840, 7e volume, p. 97-112.
53. Ibidem,p. 100.
54. Voir notamment : Philippe Junod, op.cit., note 2, p. 10-27 ; J.-M. Fauquet, Imager la musique au XIXesiècle, Paris, Klincksieck, 2009.
55. Ce tableau a fait l’objet d’une précédente analyse par Albert Pomme de Mirimonde, op.cit., note 6, p. 274-276.
56. Ibidem, p. 274-276 : « Le texte cité par le livret du Salon est tiré des Essais (Livre I, chap. 25. De l’institution des Enfants) ».
57. Voir à ce sujet : ibidem, p. 276.
58. Je remercie très chaleureusement Florence Gétreau pour les précisions indispensables qu’elle a bien voulu m’apporter à ce sujet. Celles-ci révèlent à la fois le vague désir historiciste des peintres et de nombreuses invraisemblances dans l’imitation d’instruments qui ne sont plus guère joués à leur époque.
59. Voir Madeleine Lazard, op.cit.,note 4, p. 59-60.
60. Montaigne, op.cit.,note 5, p. 181-182.
61. Sur le rôle de la pensée de Montaigne dans les idées de Rousseau et des philosophes des Lumières, voir notamment : Blair Campbell, “Montaigne and Rousseau’s First Discourse”, in The Western Political Quarterly, Mar., 1975, Vol. 28, No. 1 (Mar. 1975), p. 7-31 ; Jean Starobinski, « Rousseau dans la marge de Montaigne. Cinq notes inédites », in LeDébat, 1996/3 n°90, Paris, Gallimard, p. 3-26 ; Roland Galle, “Genuss und moral – (Montaigne, Pascal, Rousseau)’’ in Poetica, 2015, vol. 47, no. 3/4 (2015), p. 223-288, en particulier p. 223-225 et p. 242-246 ; Bernard Gittler, « Le Montaigne de Rousseau, un critique politique. Les références aux Essaisdans le premier Discours», dans Myrtille Méricam-Bourdet et Catherine Volpilhac-Auger (dir.), La Fabrique du XVIe siècle au temps des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 263-281. Les deux derniers auteurs insistent sur la manière dont la référence à Montaigne a permis de penser des relations apaisées entre la nature et la vertu, mais aussi le plaisir et la morale, déliées du divin. Sur le rapport à la nature et l’écriture « anti-méthodique, rhapsodique et discontinue », voir Guilhem Farrugia, « L’essai-promenade chez Rousseau », in La Licorne–Revue de langue et de littérature française,« Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre XVIIIe et XIXe siècles », 124, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 33-47.
62. Parmi les douze éloges rédigés, huit ouvrages font référence à l’auteur des Confessions: Abel-François Villemain (cf. note 18), Emile Vincens (cf. note 18), Joseph Droz (cf. note 19), Joseph-Victor Le Clerc (Eloge de messire Michel, seigneur de Montaigne[…],Paris, A. Delalain, 1812), Joseph Dutens (cf.note 20), Antoine Jay (Eloge de Montaigne, qui a obtenu l’accessit au jugement de la classe de la langue et de la littérature de l’Institut […], Paris, Delaunay, 1812) qui multiplie les comparaisons souvent au seul bénéfice de Montaigne), et surtout Jean-Baptiste Biot (Montaigne, discours qui a obtenu une mention dans le concours proposé par l’Académie, Michaud frères, 1812 [sans nom d’auteur. N°2]). La filiation avec Rousseau est au cœur de ce dernier éloge.
63. Jean-Jacques Rousseau, Lettre à M. de La Tourette du 4 juillet 1770, n° 3933, Œuvrescomplètes, t. XIX, p. 345-346 cité dans Guilhem Farrugia, « L’essai-promenade chez Rousseau », in La Licorne – Revue de langue et de littérature française, « Promenade et flânerie : vers une poétique de l’essai entre XVIIIe et XIXe siècles », 124, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 7.
64. Voir : Donald Murdoch Frame, Montaigne in France, 1812-1852, Submitted in the Faculty of philosophy Columbia University, New York, Columbia University press, 1940.
65. Voir Bernard Gittler, op. cit., note 61, p. 263 : « Montaigne relève d’une autre catégorie, non du génie « précepteur du genre humain », mais du « sage » qui connaît la valeur de l’ignorance, et qui n’est comparable qu’à Socrate, donné pour « le plus Sage des hommes au Jugement des Dieux » (Rousseau, Œuvres complètes., p. 13).
66. Voir notamment : Bernardin de Saint-Pierre, Études sur la nature, Étude douzième De quelques lois morales de la nature, Paris, Imprimerie de Monsieur, P. F. Didot le jeune, 1791, T. IV, p. 37-38 : « On tient à la vie, disoit Michel Montaigne, par des bagatelles, par un verre : oui, parce qu’on porte sur ce verre le sentiment de l’infini. Si la vie et la mort paroissent souvent insupportables aux hommes, c’est qu’ils mettent le sentiment de leur fin dans leur mort, et celui de l’infini dans leur vie. Mortels, si vous voulez vivre heureux et mourir contens, ne dénaturez point vos loix [sic] ; considérez qu’à la mort toutes les peines de l’animal finissent, les besoins du corps, les maladies, les persécutions, les calomnies, les esclavages de toutes les sortes, les rudes combats des passions avec soi-même et avec les autres. »
67. Pierre-Simon Ballanche, Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts, Lyon, Ballanche et Barret / Paris, Calixte Volland, 1801 (An IX), p. 207.
68. Le père de l’écrivain, René Auguste de Chateaubriand achète en 1771 le château de Combourg en Bretagne où la famille s’installe en 1777 et dans lequel le jeune François-René passe son enfance, à l’instar de Montaigne. Il décrit toutefois cette période comme morose et critique le tempérament taiseux de son père, contrairement à l’auteur des Essais.
69. François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, T. I, édition de Maurice Levaillant et Georges Moulinier, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, livre III, chapitre 4, p. 84-85. Je remercie chaleureusement Amandine Lebarbier d’avoir attiré mon attention sur ce récit.
70. Sur les relations entre Montaigne et Chateaubriand, voir : Donald Murdoch Frame, op.cit.note 64 ; Carlos Lynes Jr, « Chateaubriand-Critic of the French Renaissance », in PMLA, Jun., 1947, Vol. 62, No. 2 (Jun., 1947), p. 422-435 ; Pierre Moreau, « Chateaubriand entre Montaigne et Pascal », in Cahiers de l’AIEF, année 1969, 21, p. 225-233 ; Patrizio Tucci, « Chateaubriand, Montaigne et l'Occitanienne », in Écritures du moi, paysages figures dans l’œuvre de Chateaubriand, p. 223-238, notamment p. 225 : « Il est vrai que les Mémoires ont une notoire tendance à infléchir, parfois à manipuler et même à réécrire les fragments discursifs qu’ils incorporent, si bien que telle ou telle page, tout en se configurant comme une mosaïque de pièces rapportées, n’en demeure pas moins à part entière une page de Chateaubriand. […] Le “pauvre Michel’’ en vient finalement à servir de repoussoir au mémorialiste, alors même que l’apostrophe par laquelle celui-ci l’interpelle donnerait l’illusion d’un rapport empathique. »
71. Montaigne, Essais I, 1, cité dans Auguste Hilarion de Kératry, Du Beau dans les arts d’imitation avec un examen raisonné des productions des diverses écoles de peinture, de sculpture, et en particulier celle de France, Paris, Audot, libraire-éditeur, 1822, T. II, p. 133. La citation est toutefois tronquée et débarrassée de tout jugement péjoratif : « C’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme. »
72. Michel de Montaigne, Les essais : suivis de sa correspondance et de La Servitude volontaire d’Estienne de la Boëtie, édition «variorum», accompagnée d’une notice biographique, de notes historiques, philologiques, etc, et d’un index analytique, Charpentier, 1862, vol. I, p. V-VI : « Pierre Eyquem donna un grand soin à l’éducation de ses enfants, en s’appliquant surtout au côté pratique. Pour “rallier” son fils Michel “avec le peuple, et l’attacher à ceux qui ont besoing d’ayde,” il le donna à tenir sur les fonts “ à des personnes de la plus abjecte fortune”, puis il l’envoya, dès le berceau, “nourrir à un pauvre villageois des siens, et le dressa plus tard à la plus commune façon de vivre”, tout en prenant soin néanmoins d’“eslever son ame en toute doulceur et liberté sans rigueur ni contraincte.” Michel, qui nous donne sur ses premières années des détails très-précis, raconte avec un charme singulier comment on avait l’habitude de l’éveiller au bruit d’une musique agréable, et comment il apprit le latin “ sans fouet et sans larmes,” avant même que d’apprendre le français, grâce au professeur d’allemand que son père avait placé près de lui […]. » L’anecdote n’est pas citée dans les biographies de deux ouvrages précédemment dédiés à l’auteur : François Bigorie de Laschamps, Michel de Montaigne, sa vie, ses œuvres et son temps, Paris, Didot Frères, 1860 ; Jean-Alexandre-C. Buchon, op. cit., note 48.
73. Voir : Edgar Zilsel, Le Génie.Histoire d’une notion de l’Antiquité à la Renaissance, traduction de Michel Thévenaz, Paris, Editions de Minuit, 1993.
74. Voir à ce sujet : Roland Galle, op. cit., note 61, p. 223-288 et Jean-Miguel Pire, Otium. Art, éducation, démocratie, Arles, Actes Sud, 2020.
75. Voir : Thierry Laugée, op.cit.,note 42, p. 51-76.