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COLLOQUES


UNE DISSIDENCE INTÉRIEURE ? LA LITTÉRATURE SOVIÉTIQUE EN RÉSISTANCE
Utopie et violence dans Le Tchékiste de Vladimir Zazoubrine et Tchevengour d’André Platonov : une lecture des massacres.

Alice Pintiaux-Hamon (Nanterre)


Dans l’article « totalitarisme » du Petit Robert figure une citation de Jacques Baimville sur l’Allemagne de 1933. Claude Lefort la cite dans L’Invention démocratique :

 

« […] c'est une nouvelle forme de société politique. L’Etat-Dieu ne souffre pas de dissidence, car il est représenté par une minorité qui possède tous les pouvoirs, le reste de la population se composant de citoyens passifs. La conception totalitaire s’achève d’ailleurs par l’épuration. » 1.


Cette définition semble confirmée par le sort réservé à Vladimir Zazoubrine et à André Platonov qui ont vu, au mieux, leurs ouvrages interdits, ou ont payé de leur vie leur audace. Après trois publications séparées dans des revues, Platonov essuie un refus des éditions de la Fédération pour la publication de Tchevengour. Gorki, lui répond en effet en ces termes :

L’obstacle, c’est votre mentalité anarchiste, qui est visiblement partie consusbstantielle de votre « esprit ». […] Malgré toute votre tendresse pour les hommes, vos personnages sont voilés d’ironie, le lecteur voit moins en eux des révolutionnaires que des « toqués », des « cinglés ». Je n’affirme pas que cela soit fait consciemment, mais c’est ainsi que pense le lecteur, du moins moi. Peut-être me trompé-je. 2


Les personnages de Platonov semblent bien, à des degrés divers, des « dépossédés » en état de déréliction collective ; c'est pourquoi Tchevengour ne paraîtra jamais dans son intégralité du vivant de Platonov. Le Tchékiste de Zazoubrine, (en russe Щепка, « l’écorce », ou « le copeau de bois », ce qui vole quand on abat des arbres, comme dit le proverbe), a été écrit en 1922 et interdit malgré l’appui de Voronski et de Gorki. On sait que deux de ses précédentes nouvelles avaient été attaquées pour « naturalisme cru et dépourvu d’idées ». Zazoubrine déclarait pourtant « avoir voulu écrire une œuvre révolutionnaire, utile à la Révolution », et [que] s’il [n’y est] pas parvenu, ce n’est pas par mauvaise intention. »
En ce sens, Zazoubrine - qui sera fusillé en1938 - affirme sa conformité avec la figure de l’écrivain révolutionnaire. Celui-ci, selon Trotski, doit tenter de se mettre « au seul point d’où l’histoire apparaît tout entière 3 : […] seul le point de vue du Parti permet […] de rendre compte de la réalité telle qu’elle est depuis la Révolution ». 4

Or précisément, dans les romans de Zazoubrine et Platonov, l’histoire est vue par les yeux du tchékiste ou du bolchevik, donc du côté de la Révolution. Le paradoxe réside par conséquent dans le fait qu’à première vue, Le Tchékiste de Zazoubrine et Tchevengour de Platonov se donnent à lire comme des romans de communistes et sur le communisme, et n’en sont pas moins interdits. Une autre de leur caractéristique commune est la présence au sein de la diégèse de récits de massacre, d’agonies très précisément décrites, d’explications de fonctionnement de la machine à exécuter particulièrement éprouvantes. C'est essentiellement cet aspect qui me semble être au cœur de ce qui pourrait constituer le caractère dissident de ces romans.

Il s’agit dans les deux cas de légitimer les massacres rendus nécessaires par « Elle », la Révolution, comme le rappelle le sous-titre du Tchékiste : « Récit sur Elle et toujours sur Elle ». L’élimination systématique et répétée des ennemis de classe dans le roman de Zazoubrine s’inscrit dans une logique de « prophylaxie sociale », pour reprendre les termes de C. Lefort. Il en va de même dans Tchevengour, puisque la communauté débarrassée de ses déchets nécessite l’exécution des bourgeois et semi-bourgeois, condition préalable et nécessaire à l’avènement du communisme dans la petite ville de la steppe.

Et pourtant, ces romans sont critiqués, refusés, voire conduisent leurs auteurs à un bannissement du monde littéraire 5. Ainsi, la dissidence semble opérer à plusieurs niveaux : elle serait celle des auteurs (interdits, voire fusillés), et celle des protagonistes de Tchevengour et du Tchékiste qui échouent dans leurs missions, et dans tous les cas, visiblement, malgré eux.

La violence au service de l’utopie, certes revendiquée mais aussi, paradoxalement, insuffisamment défendue ou condamnée, semble inscrire résolument les romans dans une littérature de la dissidence intérieure, en ceci qu’ils rendent ostensible ce point de basculement où la légitimation politique du massacre se heurte - ou pas - à l’humanité du bourreau. En justifiant la « Terreur juste » ou le nettoyage de la ville du « communisme et vice-versa », le tchékiste Sroubov et les bolcheviks de Tchevengour prétendent se conformer aux principes de la Révolution. Or ils s’égarent et se condamnent eux-mêmes, à mesure qu’apparaissent en eux des questionnements sur le sens de la Cause et la légitimité du partage du visible, consécutif à la métamorphose du corps social dont ils se font les acteurs.
Toutefois, la mise à l’épreuve du totalitarisme n’a pas le même enjeu dans les deux romans, c'est pourquoi l’étude des modalités de la dissidence intérieure nécessite tout d’abord de montrer comment la terreur est mise en pratique, autrement dit quelles formes prennent les massacres, puis selon quelle conformité à la cause communiste ils se justifient. Enfin, je tenterai de montrer quel type de métamorphoses aporétiques est à l’œuvre dans Tchevengour et Le Tchékiste.

I Les Massacres

Les massacres de civils présentent des caractéristiques différentes dans les deux romans,. Dans Tchevengour, ils tiennent lieu d’action-limite, jugée nécessaire afin d’assurer la mise en conformité spatiale et temporelle de la ville de Tchevengour avec le communisme. Dans Le Tchékiste, le point de vue est majoritairement celui de Sroubov, responsable de la Tchéka locale, chargé de juger sommairement les ennemis du communisme et de les faire exécuter, par groupes de cinq, dans la cave du bâtiment affecté à la Tchéka dans une petite ville sibérienne.


1. Deux massacres à Tchevengour.

Dans les deux cas, l’exécution est soigneusement mise en scène : dans Tchevengour le massacre des bourgeois a été scrupuleusement organisé. Dans le cadre d’une longue analepse, l’épisode est relaté par le tchékiste Pioussia qui explique que peu de temps après son arrivée à Tchevengour, celui qui est devenu président du soviet local, Tchepourny (dit aussi le Japonais), n’a bientôt plus supporté la présence en ville d’une « couche épaisse de petite bourgeoisie » dont la « crasse bourgeoise » le faisait souffrir « dans tout son corps » : Tchevengour s’avérant « encrassé de propriété et de possédants », de « ces hommes étranges qui avaient une odeur de cire » (Ч., р. 386 / T., p. 245).

Le récit de Pioussia donne à lire l’exécution comme une action légitime et conduit les tchékistes à abattre méthodiquement les bourgeois après les avoir convoqués sur la place du village et leur avoir annoncé en ces termes un nouvel avènement : « Le pouvoir soviétique affectait à la bourgeoisie la totalité du ciel infini, équipé [armé] d’étoiles et d’astres, afin d’y organiser la béatitude éternelle » (Ч., р. 388 / T., p. 247).
Le souci d’organisation en prélude au massacre consiste à convoquer les formules officielles et à les détourner, afin de conduire la bourgeoisie outre-tombe, de façon « organisée et indolore ». Les tchékistes se chargent par conséquent de tirer à bout portant sur le bourgeois le plus proche d’eux, et le récit décrit ainsi en gros plan les effets de la balle tirée par Pioussia dans le corps du bourgeois Zavyn-Douvaïlo : « Une buée paisible s’échappa de la tête du bourgeois puis sur la surface des cheveux apparut une matière humide, maternelle, semblable à la cire des cierges [...] » (Ч., р. 389 / Т., p. 249). La logique qui consistait à évacuer la bourgeoisie de Tchevengour est ainsi parfaitement mise en pratique, et l’excrétion de la cire permettant d’associer les réseaux métaphoriques de la crasse bourgeoise à la connotation religieuse de la cire. Et c’est le souci du détail et la neutralité narratoriale qui rend alors la lecture de ce récit particulièrement éprouvante.

Après l’exécution, dans un second temps, des « semi-bourgeois » provisoirement bannis dans la steppe, les Tchevengouriens échouent à trouver entre eux le communisme, et sont bientôt anéantis par la troupe armée. Les formules du langage officiel mâtinées de prophéties religieuses, destinées à conférer au massacre une justification théorique, n’ont plus cours : l’ordre est rétabli par la force et contraint le roman au principe de réalité, qui consiste à anéantir toute faction qui ne correspondrait pas aux critères de conformité du Parti.
Mais là où le massacre censé inaugurer la cité idéale se donnait à lire comme un épisode singulier et motivé, le massacre final ne s’accompagne d’aucune explication. La neutralité narratoriale dans le récit du premier massacre laisse la place au point de vue des victimes que sont devenus les Tchevengouriens. Ainsi, en trois ou quatre pages, les bolcheviks, prolétaires et « autres » de Tchevengour sont tués, et seuls les deux « frères » Dvanov échappent à l’anéantissement.

2. Les exécutions répétées dans Le Tchékiste.

Dans Le Tchékiste, les exécutions sont massives et répétées quotidiennement, puisque les ennemis sont innombrables et constamment dénoncés, arrêtés, condamnés et exécutés. Les exécutions sont évoquées dès le premier chapitre, d’abord du point de vue des victimes – ce sera le seul moment – enfermées dans l’un des caves de l’immeuble, puis avec le portrait des cinq tireurs :

Trois d’entre eux tiraient comme des automates. […]. Ils faisaient tout presque machinalement. Attendaient que les condamnés se déshabillent et se placent, levaient mécaniquement leurs revolvers, tiraient, sautaient en arrière, rechargeaient leurs armes, attendaient qu’on enlève les cadavres et qu’on amène une nouvelle série. (L.T., p. 44)

Le caractère méthodique et répétitif des exécutions banalise la terreur et aveugle aussi Sroubov, le président de la Tchéka et protagoniste du roman :

Après la quatrième série, Sroubov cessa de distinguer les visages et les silhouettes des condamnés, d’entendre leurs cris et leurs gémissements. La fumée des cigarettes et de la poudre, la vapeur dégagée par le sang et les respirations, se confondaient en un brouillard qui le plongeaient dans l’hébétude. (L.T., p. 45).


Le souci de précision qui préside à la description des exécutions donne lieu, dans le second chapitre, à une évocation des aménagements logistiques, notamment pour évacuer les cadavres à l’aide de cordes attachées aux pieds :

Et les cadavres montaient, exhalés ou recrachés par la glotte fumante, telles des glaires ou de la bave visqueuse, chaude, jaune, bleue, sanguinolente. Et les hommes marchaient sur eux comme sur des glaires, des crachats, ils les piétinaient, les étalaient dans le camion. Ensuite, lorsque les dos des cadavres, refroidis et bleuissants, bossus comme des congères, commençaient à dépasser des bords du camion, on les recouvrait d’une bâche, grise comme la brume. Et le camion martelait la neige avec ses pattes d’acier, s’enfonçait, brisait le dos des congères, faisait craquer les squelettes neigeux, […] (L.T., 55-56)

L’évacuation des cadavres s’associe aux images de dévoration, de régurgitation, d’écrasement enfin, et montre bientôt l’immeuble de la Tchéka comme une métaphore de la Révolution elle-même, évoquée avec un « E » majuscule au pronom « Elle ». Le culte rendu à la Révolution fait d’elle une entité saturnale et maternelle en même temps, qui exige continuellement son tribut, comme l’évoque Sroubov :

Elle n’est pas une idée, Elle est un organisme vivant, une grande matrone enceinte. Une bonne femme qui porte un enfant et qui doit le mettre au monde.
Oui… Oui … Oui… (L.T., 61 ) 6


Et, à la toute fin du roman :

Et Elle, cependant, vomissait du sang à cause du verre pilé des complots, à cause de la strychnine des sabotages, et Son ventre (son sein dirait la Bible) enflait de maternité et de faim. Toute blessée, couverte de son sang et de celui de ses ennemis […], déguenillées, en haillons gris et rouges, en chemise grossière et pouilleuse, Elle restait solidement plantée sur ses pieds nus dans la grande plaine, et regardait le monde de Ses yeux perçants, pleins de colère. (L.T., pp. 145-146)


La violence des communistes dans Tchevengour et Le Tchékiste correspondrait par conséquent à une sorte de rituel macabre, qu'il s’agisse d’un rite de passage destiné à valider l’entrée de Tchevengour dans le monde du communisme utopique ou de la répétition machinale et écœurante de la mise à mort.

Les exécutions dans les sous-sols de la Tchéka finissent par avoir raison de la santé mentale du protagoniste, alors que les Tchevengouriens déplorent la visibilité des traces du massacre - sans remettre fondamentalement en question la nécessité de celui-ci - et l’attente non comblée du communisme. Jusqu’au bout, ils se réclament d’un communisme a minima, constitué autour d’un groupe d’apôtres du communisme et réduit à leur seule survie. C'est donc la question de la conformité et de l’écart vis-à-vis des exigences de la Révolution qui se pose, dans la mesure où dans les deux romans, la fin tragique des protagonistes signe l’arrêt d’un processus qui se réclame précisément de la Révolution.

II. Conformité et non-conformité aux préceptes révolutionnaires :

Les massacres apparaissent comme une réponse à une prescription politique et éloignent apparemment les actions des personnages et, partant, les romans, de toute idée de dissidence. Dès 1917, Boukharine affirmait :

La coercition, la coercition prolétaire sous toutes ses formes, à commencer par les exécutions [...], voilà la méthode qui permettra de façonner l’homme communiste dans le matériau humain de l’époque capitaliste 7.

Toutefois, de l’idée à la formulation de sa mise en pratique, la logique même qui préside à ces exécutions permet de mesurer le degré de conformité des actions et des représentations à la cause communiste, et l’aporie que constituent la collusion et la confusion entre la théorie et la pratique totalitaires. Si l’on se réfère à Hannah Arendt, qui dans Les Origines du totalitarisme définit la politique totalitaire, on s’aperçoit que la création d’un homme nouveau, conformément à la prescription politique, implique cette confusion :

La politique totalitaire […] promet d’affranchir l’accomplissement de la loi de toute action et de toute volonté humaines ; et elle promet la justice parce qu’elle prétend faire du genre humain lui-même l’incarnation de la loi. 8

Ainsi l’homme se trouve investi d’un pouvoir qui fait de lui un vecteur actif et infaillible de la loi qu'il incarne.

1. Justification des crimes et rupture historique :

Les exécutions s’organisent de façon plus structurée dans Le Tchékiste que dans Tchevengour, en vertu tout d’abord de la différence de statut des personnages. Sroubov est le président de la Goubtcheka, Tchepourny président du soviet local, aidé de quelques tchékistes de pour exécuter les bourgeois, ceux-ci constituant un ensemble d’ennemis clairement identifiés et massacrés en une fois. Chez Zazoubrine, les ennemis sont innombrables et constamment dénoncés, arrêtés, condamnés et exécutés. Le caractère bureaucratique de l’organisation apparaît en outre dans les scènes d’interrogatoires qui établissent, en amont, la culpabilité des ennemis et révèlent le caractère implacable des sentences de mort prononcées.
Dans Tchevengour, l’annonce des massacres est faite par Tchepourny, qui trouve en Prokofi Dvanov un précieux auxiliaire : seul celui-ci saura, en effet, formuler efficacement la décision de l’exécution. Après avoir publié officiellement le « nouvel avènement », dans les termes que nous avons vus, la deuxième étape est le bannissement des semi-bourgeois provisoirement épargnés. Tchepourny demande à Prokofi de lui faire la lecture de Marx et de lui fournir une résolution sur la liquidation de la classe des « salopards résiduels », ce qui donne lieu à un raisonnement dévoyé de la part de Prokofi qui n’a pas trouvé trace desdits salopards chez Marx :

    • Je suppose une seule chose, dit Prokofi en un résumé rationnel : du moment qu’on ne parle point chez Karl Marx des classes qui restent, c’est qu’elles ne peuvent pas exister.
    • Or elles existent, tu n’as qu’à aller dans la rue [...] Comment faire, dis-moi un peu !
    • Moi je pense que, d’après Karl Marx, elles ne peuvent exister, et que par conséquent, elles ne doivent pas exister. (Ч., р. 401 / T., p. 263)

Ainsi, l’action violente et meurtrière semble légitimée par la présence à la fois de la rhétorique religieuse et de la lecture détournée de Marx : le lien de causalité substitue à l'absence d'une notion la nécessité de son élimination, et fournit une caution à toute sorte d’exactions qui s’inscriraient, selon les termes de François Chirpaz,

Dans une apologie de la violence nécessaire à l’acte de la rupture, d’une violence qui s’absout elle-même de ses dérives parce qu’elle se considère comme le bras nécessaire de la geste d’une Histoire en train de rendre effective sa métamorphose. 9

Et c'est à partir de cette idée de métamorphose que s’établit la rupture susceptible de justifier les horreurs décrites dans les deux romans. Cette métamorphose fait que la Révolution, rompt délibérément avec le continuum historique ; cette conception de l’histoire se traduit dans Le Tchékiste comme dans Tchevengour par le désir de surseoir aux « degrés de transition conséquents et progressifs où [son] intuition décelait une tromperie pour les masses ». C'est en ces termes en effet que Tchepourny justifie la proclamation du communisme à Tchevengour, accélérant le processus historique afin de pouvoir au plus vite le suspendre. Autrement dit, comme l’explique Hannah Arendt, il s’agit de se livrer aux exécutions « sans attendre que la nature ou l’histoire elles-mêmes suivent leur cours, plus lent et moins efficace » 10.
C'est pourquoi, par souci d’efficacité, et de même que l’espace doit être mis en conformité avec la nouvelle ère du communisme, les bourgeois doivent être exterminés, jusqu'au bout, afin d’extraire leur âme.

Un nouveau partage du visible :

L’idée de détruire complètement l’ennemi renvoie à l’esthétique de la disparition qu’évoque Jacques Rancière comme régime esthétique propre au XXème siècle. On retrouve cette volonté dans Tchevengour, selon deux modalités : tout d’abord, il faut « tuer à fond », et cette question est intimement liée à la question du partage du visible : Le tchékiste Pioussia s'acharne à tuer les bourgeois jusqu'au bout, et en particulier Zavyn-Douvaïlo, qu’il vient de toucher d’une première balle, et qu'il palpe de la main en lui demandant :

« Où est-ce qu'elle coule, ton âme – dans ta gorge ? Je m'en vais te la faire gicler de là ! [...] puis il lui traversa le cou par deux fois » (Ч., р. 390 / Т., p. 250). 11

Dans un deuxième temps, et après la relégation des semi-bourgeois et leur probable liquidation, la préoccupation des Tchevengouriens est d’éliminer les traces du massacre. En effet, ce qui déplaît à Kopionkine, quand il demande des comptes sur la butte de terre qu'il découvre en entrant à Tchevengour, c'est que la fosse où sont enterrés les bourgeois n’est pas solidement damée. Puisque Pioussia n’a à l’évidence pas su tasser convenablement la terre, il n’a sans doute pas battu complètement les bourgeois non plus. Par la question de la trace se pose celle du partage du visible : en guise d’utopie supplémentaire, il convient non seulement de tuer à fond l’ennemi mais d’en supprimer les traces. Or cette mission semble excéder le domaine de compétence des tchékistes et des bolcheviks. Dans Le Tchékiste, le camion opère un simulacre de dissimulation des corps : « c'est la Tchéka qui emmène sa cargaison », disent en effet les bouches endormies dans le second chapitre. 12
Ce souci de mener à son terme la tuerie ne concerne pas que le massacre des bourgeois : il faut en effet revenir à une scène de Tchevengour où Kopionkine se retrouve devant un portrait de Rosa Luxemburg et ensuite débite un koulak à la hache,

Ce fut alors la première fois que Kopionkine découpa du koulak avec rage. Ordinairement il ne tuait pas comme il vivait, il tuait avec indifférence, mais à fond, comme si une force calculatrice et scrupuleuse agissait en lui. Kopionkine voyait dans les gardes blancs et les bandits des ennemis de peu d’importance, indignes de sa fureur personnelle, et il les tuait avec le même zèle appliqué et quotidien qu’une paysanne sarclant son mil. (Ч. 307-308 / T., p. 157)

Le passage montre tout d’abord la sinistre routine dans laquelle s’est installé Kopionkine : s’il tue d’ordinaire « avec indifférence », il s’y applique « à fond », comme le fait Pioussia avec Zavyn-Douvaïlo. Kopionkine manifeste ainsi cette indifférence qui fait des hommes des exécuteurs exempts de toute humanité, mais fait preuve d’une maturité politique plus développée que Tchepourny qui se déclarait personnellement affecté et oppressé par la présence des bourgeois à Tchevengour.
Le pouvoir du mot Révolution et la figure de Rosa Luxemburg invitent également à prendre en considération le travail des bolcheviks et des tchékistes, caractérisé ainsi par Sroubov, qui adresse en silence au public de l’Opéra cette remontrance : 

Nous faisons un immense travail de manœuvres, un travail de nègres, une sale besogne. Oh, vous n’aimez pas les manœuvres et leur labeur salissant. Vous aimez la propreté, partout, même dans vos chiottes. Mais le travail d’assainissement, le vidangeur qui vous les nettoie, ça, ça vous dégoûte. (L.T., 93)

Or ce travail qui consiste à éliminer les déchets assimile les tchékistes aux prolétaires chargés des basses œuvres, au nom d’un nécessaire assainissement, correspondant à la tabula rasa utopique. Ainsi, le tchékiste doit aussi être prêt à détruire les valeurs existantes, y compris l’individu, atome infime du « nous » cosmique 13. Tuer non un individu mais une classe, c'est la mission, entre autres, de Solomine, l’un des tireurs dans Le Tchékiste : « Or il servait la révolution consciencieusement, avec bonne volonté, comme il aurait servi un bon patron. Il ne tirait pas, il travaillait ». (L.T. p. 45). Et quand il harangue les ouvriers lors d’un meeting, il devient lui-même la classe commune :

Le sans-parti, vous croyez qu’il comprend de quoi il retourne ? […] Il croit que c'est Vanka ou Mitka qui tue. Il n’a pas l’idée que ce n’est pas Vanka ou Mitka qui tue, c'est la commune, que c'est pas un assassinat mais une exécution, et c'est une affaire communale… (L.T. p. 145) 

Pour autant, la revendication de la visibilité des exécutions et de leur portée didactique doit être savamment étudiée, et Sroubov théorise en ces termes les effets dépravants du spectacle de la tuerie, et réfute la portée pédagogique des exécutions publiques sur le modèle issu de la Révolution française :

En France, il y avait la guillotine, les exécutions publiques. Chez nous, c'est le sous-sol. L’exécution secrète. Les exécutions publiques entourent la mort d’un criminel, même le plus dangereux, d’une auréole de martyr, de héros. Elles font de la publicité, elles donnent une force morale à l’ennemi. Elles laissent à la famille et aux proches un cadavre, une tombe, les dernières paroles, les dernières volontés, la date exacte du décès. C'est comme si le supplicié n’était pas entièrement détruit.

L’exécution secrète, dans une cave, sans aucun élément de spectacle, sans l’annonce du verdict, la mort soudaine, produit sur les ennemis un effet accablant. C'est une machine énorme, impitoyable, omnisciente qui happe soudain ses victimes et les absorbe dans son hachoir. Après l’exécution, on ignore la date exacte de leur mort, il n’y a ni dernières paroles, ni cadavre, ni même une tombe. Il n’y a que le vide. L’ennemi a été entièrement détruit. (L.T., p. 117, nous soulignons)

L’instauration d’un nouveau partage du visible opère donc à plusieurs niveaux : la mise en conformité de l’espace, la volonté de rendre secrets les massacres, la nécessité de tuer jusqu’au bout et enfin d’éliminer les traces. L’échec des Tchevengouriens et de Sroubov en ferait presque ainsi des victimes du devoir, ainsi que Pravdoukhine le suggère dans sa préface, quand il considère Le Tchékiste comme la « Tragédie de l’homme qui prend conscience de son incapacité à se transformer en machine ».

La question de la responsabilité et de la culpabilité se pose alors, et mériterait approfondissement. Si Sroubov essaie jusqu’au bout d’assumer sa mission, il peint la Révolution en des termes qui la rapprochent d’un monstre. De plus, la présence des extraits de la dernière lettre du son père, ennemi de classe, constitue indéniablement une preuve à charge contre le roman. Dans Tchevengour, la culpabilité, en revanche, est revendiquée par Tchepourny lui-même. Lors de l’exécution des bourgeois Prokofi avait rejeté en ces termes la responsabilité du massacre, arguant qu'ils avaient voulu le deuxième avènement, et il avait conclu : « eh bien, qu'ils l’aient – ce ne sera pas notre faute », ce à quoi Tchepourny avait répondu : « Comment ça, pas de notre faute ? Dis-moi un peu ! Du moment qu’on est la Révolution, on est entièrement coupable ! Si tu fais des formules pour te faire pardonner, fiche le camp ». (T., p. 247).

Ainsi la métamorphose de l’histoire et la banalisation du meurtre, qui s’accompagnent d’un désir de reconnaissance de la part des exécuteurs assimilés à des prolétaires et d’un nouveau partage du visible, impliquent une inévitable redéfinition du corps social en vertu d’une nouvelle conception du politique. Or c'est ce corps social nouveau qui échoue à se constituer en communisme triomphant.


III. L’Un et le corps de l’ennemi


1. Si Le Corps politique est Un, il a partie liée avec le corps de l’ennemi.

La métamorphose que représentent les massacres nécessaires affecte la représentation du corps social, en ce que la bipartition camarades / ennemis doit se résorber en une éradication des seconds, mais au nom d’une abolition des classes. C'est Claude Lefort qui expose ce paradoxe, dans L’Invention démocratique :

Le socialisme, après la Révolution, n’est pas seulement censé préparer l’avènement d’une société sans classe, il doit déjà rendre manifeste cette société qui porte le principe d’une homogénéité et d’une transparence à soi. Le paradoxe est le suivant : la division est déniée […] et à mesure de cette dénégation, se voit fantasmatiquement affirmée une division entre le peuple Un et l’Autre. 14 


Or la constitution du Peuple-Un exige la production incessante d’ennemis. En ce sens, Le Tchékiste se démarque du roman de Platonov, et présente une image presque inversée de la quête. Si Sroubov et ses auxiliaires alimentent en ennemis le sous-sol, les Tchevengouriens font venir des prolétaires autres pour constituer une base vivante du communisme dans la ville assainie. 15 Pour autant, il s’agit de se débarrasser des ennemis et de redéfinir par là même les termes mêmes de l’humanité. Dans Tchevengour, l’humanité de l’ennemi résolument autre réapparaît au cours d’un ralenti sur le meurtre par Pioussia du bourgeois Chtchapov qui cherche un ultime réconfort au moment de mourir :

Le tchékiste comprit et fut ému :

‘Avec une balle dans le corps les bourgeois comme le prolétariat avaient besoin de camaraderie, sans balle – ils n’aimaient que la propriété’. (Ч., p. 390 / T., p. 250).

Ainsi, seul l’anéantissement nécessaire de celui qui n’est pas assimilable à soi-même dans la communauté permettrait de voir dans l’autre un autre soi-même, quand la division entre « eux » et « nous » exclut toute possibilité de se reconnaître dans l’ennemi de classe. Le corps politique présente alors la figure paradoxale de l’Un et en même temps une opposition radicale entre l’Un et l’Autre :

L’image du corps politique exige l’exclusion de l’Autre maléfique et simultanément se décompose en celle d’un tout et d’une partie qui vaut à la place du tout, d’une partie qui réintroduit paradoxalement la figure de l’autre, l’autre omniscient, tout puissant, bénéfique, le militant, le dirigeant, l’égocrate. 16

On peut par conséquent observer dans nos romans un double mouvement de condensation et de fragmentation, dans la mesure où le Parti n’est pas distinct du peuple ou du prolétariat qui en est la quintessence, il est le prolétariat au sens de l’identité, et en même temps il en est le guide, la conscience, la tête qui impose l’élimination de l’Autre dans une logique totalitaire. Le pouvoir dissocié de l’ensemble social se confond avec le corps entier tandis qu’il en est la tête, et Sroubov, dans les pages de ses carnets, souscrit résolument à cette volonté d’amalgamer la tête et le bras armé :

Il est indispensable d’organiser la terreur de telle façon que le travail du bourreau, de l’exécutant, ne se distingue presque plus de celui du théoricien. L’un dit : la terreur est nécessaire, l’autre appuie sur le bouton d’une machine automatique à fusiller. (L.T., p. 118)

Or ce qui est en cause dans ce Nous - qui est à la fois pièce de la machine et l’un de ses organes, c'est précisément l’intégrité du corps social et politique qui dans les deux romans est mis à l’épreuve et connaît l’échec. Sroubov devient fou, et sait que celui qui finit par le remplacer, après sa défection, a fusillé son père et le condamnera à mort. Les Tchevengouriens, pour leur part, sont massacrés par la troupe, présentée comme des cadets blancs, mais plus vraisemblablement des soldats de l’armée rouge, en réponse à une lettre de dénonciation envoyée par un chargé de mission moscovite récemment arrivé à Tchevengour : leur communisme est par trop oisif et égaré, loin des directives du canton, qui ne sont bientôt même plus lues.

2. Le communisme en échec : la question de la solidarité.

La dissidence intérieure procèderait par conséquent d’un échec du communisme tel qu'il est présenté dans ces deux romans. La scène de l’assassinat du koulak par Kopionkine semble à ce titre représentative de la cause de cet échec, car elle permet de mesurer la carence politique qu’engendre paradoxalement la banalisation des massacres. Dans le troisième volume du Principe Espérance Ernst Bloch évoque le type du martyr rouge, impliqué dans la lutte contre la répression, qui ne veut pas être un martyr mais un combattant inébranlable, pour lui-même et pour son être, qui se trouve ainsi confirmé. Or ce combattant

ne se conçoit pas cependant comme un individu ni comme collectivité générale, mais [...] porte en soi l’unité de l’individu et du collectif : la solidarité. Et cette solidarité […] c'est aussi une solidarité dans le temps : car elle s’étend aux victimes du passé et aux vainqueurs de l’avenir, dans un présent absolu. [...] Une telle conscience ramène l’immortalité de la personne – devenue porteuse de cette conscience – à l’immortalité de ses intentions et de ses contenus les meilleurs. [...] 17 

Ainsi la confirmation de l’être passerait par le biais d’une solidarité synchronique, mais aussi diachronique, qui ferait de la communauté utopique non pas seulement un Tout mais une nouvelle force abstraite qu’Ernst Bloch désigne par le terme de solidarité. Or dans le cas de Kopionkine, dont le statut de « combattant inébranlable » manque singulièrement d’occasion pour se réaliser à Tchevengour, tuer un koulak devient la routine, ce qui rend manifeste l’absence de cette solidarité.
D’une façon générale, il ne s’agit donc plus pour lui de se réclamer de la martyre allemande, mais simplement de tuer à fond, au quotidien, avec indifférence : l’abstraction représentée par la solidarité est au même titre que le communisme oubliée progressivement au profit d’activités mortifères habituelles. Si à titre exceptionnel Kopionkine peut tuer cruellement, par excès de rage, la Cause – et l’immortalité de celle-ci – semble vouée à l’échec, faute de trouver des individus porteurs de cette conscience utopique à la fois synchronique et diachronique.
Or cette absence de conscience est sans doute au cœur de l’échec de l’entreprise communiste dans le roman de Platonov : cette « matière interstitielle » recherchée entre les prolétaires mais qui finalement n’apparaît jamais pourrait bien être cette solidarité, cette « unité de l’individu et du collectif » que porterait en soi le combattant martyr.

Conclusion : Roman et dissidence, la préface de Pravdoukhine et ses enjeux.

Ainsi, la Révolution telle qu’elle est présentée et mise en pratique dans les deux romans subit un échec… et si le roman de Platonov a été immédiatement censuré, celui de Zazoubrine a fait l’objet en 1923 d’une préface qui se donne à lire comme un plaidoyer désespéré pour une œuvre « salutaire », dont les vertus pédagogiques sont valorisées. C’est du côté de la réception que je me placerai donc en dernier lieu :

« Le héros de Zazoubrine est atteint, malgré l’immense exploit qu’il accomplit jusqu’au bout au nom de la Révolution, il garde dans son être cette écharde historique : « Y a-t-il une âme ou non ? […] »

« Ce récit est une œuvre nécessaire, une œuvre d’art qui est capable de secouer fortement les âmes faibles, élevées dans des serres. Zazoubrine nous introduit dans le laboratoire le plus terrible de la Révolution et semble nous dire ‘ Regardez-la, écoutez sa musique, terrible et splendide’ ».

« Nous sommes ici devant un héros comme l’histoire de l’humanité n’en a encore jamais vu. Devant la tragédie intérieure de ce héros, qui ne supporte pas son épreuve héroïque. Mais le sens de cette épreuve est clair […] Zazoubrine dévoile concrètement ce qui, dans l’homme, l’empêche encore de franchir enfin la frontière qui sépare le monde ancien du monde nouveau. »

« Le récit de Zazoubrine aidera les vrais révolutionnaires à cautériser définitivement en eux-mêmes les « échardes » héritées du passé historique, afin de devenir de hardis ingénieurs de la transformation inévitable et radieuse de leur être ».

Autrement dit, le récit aurait conservé sa visée didactique, en ceci que l’exemple de Sroubov doit être à la fois imité (tant qu'il élabore des théories sur la révolution et légitime les massacres) et rejeté quand le doute et la conscience l’entraîne vers la folie. Or la postface de Pravdoukhine, en essayant de tenir ensemble l’exemple et le contre-exemple dans le personnage de Sroubov, n’a fait que la moitié du chemin… Dans l’ordre communiste des choses, il ne faut plus montrer en effet qu’une vision, celle de la Révolution, c'est-à-dire bientôt celle des héros qui réussissent. On a vu combien les Tchevengouriens, Sroubov et ses hommes semblent égarés, chacun à leur manière, et ne peuvent correspondre à l’image des communistes qu'il convenait de livrer dans les romans : ils appartiennent déjà au passé et doivent, à leur tour, laisser la place.


1Claude Lefort, L’Invention démocratique, les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1981, p. 86.

2Cité par Georges Nivat, « Une fable russe, un rêve universel, Tchevengour », Tchevengour, p. 11.

3« Il est impossible de comprendre, d’accepter ou de peindre la révolution, même partiellement, si on ne la voit pas dans son intégralité », Léon Trotsky, Littérature et Révolution, (1923) traduit du russe par Pierre Frank, Claude Ligny, Jean-Jacques Marie, U.G.E., « 10/18 », 1964, p. 109.

4Jean-Pierre Morel, Le Roman insupportable, Paris, Gallimard, 1985, pp. 37 sq.

5Il faudrait revenir sur les éléments biographiques propres aux deux écrivains, et l’on se réfèrera pour Platonov à la thèse de Michel Heller, André Platonov en quête du bonheur, Université de la Sorbonne - Paris IV, Paris, 1980, ainsi qu’à celle d’Annie Epelboin, Les Bâtisseurs de ruines, Université de la Sorbonne - Paris IV, 1995. Pour Zazoubrine, le site de Viatcheslav Roumantsev, Hronos, présente une courte biographie, à l’adresse http://www.lib.syzran.ru/personaliy/pers_Z,I/Zazubrin.htm, ou l’article de Vladimir Jarantsev sur http://www.sibogni.ru/writers/9.

6Elle est aussi plus loin « une bonne femme en cloque, une Russe au gros cul, portant une chemise en toile déchirée, rapiécée, pouilleuse ».

7Nikolaj Buharin, Programma R.K.P., cité Michel Heller, La Machine et les rouages, (1985), traduit par Anne Coldefy-Faucard, Paris, Calmann -Lévy 1985, p. 17.

8Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, (1949), Le Système totalitaire, Paris, Seuil, « Points » 1972, p. 210.

9François Chirpaz, Raison et déraison de l’utopie, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 105, nous soulignons.

10Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, op. cit., p. 213.

11On sait que Tchepourny donne raison à Pioussia ensuite : l’âme est effectivement située dans la gorge, car les cadets pendent les communistes : « Et tu as bien fait ! L'âme est en effet dans la gorge. [...] Pourquoi crois-tu que les cadets nous pendent par la gorge ? Justement pour nous brûler l'âme avec une ficelle : à ce moment-là on meurt vraiment au complet ! Sans ça on s'agrippe : c'est que c'est dur, de tuer un homme ! ». (Ч., р. 391 / T., p. 251)

12Le Tchékiste, p. 56.

13Rappelons cette déclaration d’intention publiée dans la Pravda le 25.12.1918 : « Nous ne combattons pas des individus, nous anéantissons la bourgeoisie en tant que classe ».

14L’Invention démocratique (1981), Paris, Fayard, 1994, p. 159. Voir aussi la fin de la citation : « Cet Autre, c'est l’Autre du dehors […] L’autre est le représentant des forces en provenance de l’ancienne société (koulaks, bourgeoisie) et c'est l’émissaire de l’étranger, du monde impérialiste ».

15Or dans la logique des tchékistes, « tout se passe comme si le corps devait s’assurer de son identité propre en expulsant ses déchets, ou bien comme s’il devait se refermer sur lui-même en se soustrayant au dehors, en conjurant la menace d’une faction qui fait peser sur lui la menace de l’intrusion d’éléments étrangers », Ibid.

16Ibid.

17Ernst Bloch, Le Principe espérance III, Les images-souhait de l’instant exaucé, traduit par F. Wuilmart, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de Philosophie », 1991, p. 313, nous soulignons.



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- Auteur : Alice Pintiaux-Hamon (Nanterre)
- Titre : Utopie et violence dans Le Tchékiste de Vladimir Zazoubrine et Tchevengour d’André Platonov : une lecture des massacres.
- Date de publication : 21-01-2012
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=91
- ISSN 2105-2816