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Amour saphique et identité : la trilogie d’Esther Tusquets

Giuseppina Notaro


Esther Tusquets, écrivaine barcelonaise née en 1936 dans une famille de la classe moyenne catalane, morte en 2012, a marqué par son travail d’écrivain, en marge de son activité d’éditrice, l’histoire de la littérature espagnole contemporaine, en en déterminant souvent les trajectoires et les thématiques. Sa carrière se développe relativement tard : en effet, elle a quarante ans passés lorsqu’elle publie son premier roman, El mismo mar de todos los veranos, en 1978, avec lequel elle inaugure une trilogie qui continue en 1979 avec El amor es un juego solitario, qui obtient le Prix Ciudad de Barcelone, et se termine avec Varada tras el último naufragio, en 1980. Ces trois romans ont été réunis récemment sous le titre unique Trilogía del mar. Les trois histoires ne présentent pas de continuité, mais on y retrouve les mêmes personnages qui y prennent à chaque fois des caractéristiques différentes.

Jusqu’à son dernier roman, Confesiones de una vieja dama indigna (2009), la production littéraire de Tusquets se situe dans un équilibre subtil entre une thématique dite « femenina » et un style totalement innovant. Les critiques qui ont étudié ses œuvres ont relevé un sujet constant dans son écriture, à savoir celui de la recherche et de la naissance d’une « conciencia femenina », c’est-à-dire l’affirmation psychique et sexuelle de la femme, dans les divers moments de sa vie.

La période historique pendant laquelle Tusquets publie son premier roman est celle de la transición vers la démocratie, période qui commence déjà dans le « tardo franchismo » et qui s’accélère avec la mort du dictateur en 1975 : c’est précisément à ce moment, dans les années 70 et au début des années 80, que se produit ce qu’on a appelé le boom de la littérature féminine. En 1978, en outre, la disparition de la censure et l’approbation de la Constitution favorisent l’exploration de nouveaux sujets, et même des arguments « scabreux » du monde féminin, comme pouvaient l’être à l’époque la sexualité et l’érotisme, ainsi qu’à une nouvelle façon d’écrire. En particulier, une littérature aussi naît et se développe, qui fait de l’amitié, de l’amour et de l’érotisme entre les femmes son thème fondamental, traitant donc de l’homosexualité et mettant dans certains cas l’hétérosexualité au second plan. Le thème érotique, en effet, existe depuis toujours, dès l’antiquité, mais a toujours été considéré, jusqu’alors, comme inapproprié aux œuvres littéraires des romancières.

Ceux qui se consacrent à ce nouveau type d’écriture, en effet, sont surtout des femmes qui ont personnellement vécu les événements du XXe siècle espagnol, marqué par une guerre civile et quarante ans de dictature et de censure, qui ont conduit, inévitablement, à une série de dissonances culturelles éloignant l’Espagne des processus littéraires existants dans le reste de l’Europe. Rosa Chacel, Ana María Moix, Montserrat Roig, Carmen Martín Gaite, Esther Tusquets, Marina Mayoral, Almudena Grandes sont la preuve de la profonde réaction au status quo existant et du changement drastique ayant eu lieu par la suite : beaucoup de leurs œuvres, en effet, ont comme sujet fondamental celui des relations, amoureuses ou d’amitié, entre femmes, protagonistes d’une nouvelle manière de vivre, et à la recherche d’une nouvelle identité, détachée finalement de tout engagement politique, social ou culturel. Il s’agit d’une sorte de reconquête de l’écriture « femme », contre celle qui jusqu’ici avait été dominante. À travers les histoires, la façon d’agir, de s’insérer dans la société de ces nouveaux personnages, libres de toute contrainte et tabou, les femmes écrivains cherchent une place dans le monde de la culture contemporaine, cherchent à se retrouver elles-mêmes et leur identité. Biruté Ciplijauskaité, dans son étude sur la novela femenina contemporánea, affirme à ce propos :

« Lo que se propone como el discurso ‘liberado’ cumple dos propósitos: expresa la reacción a la represión social de los tiempos pasados y lleva hacia el auto-conocimiento. Para transmitir modos de percepción femenina se renuncia al lenguaje y a las normas de composición forjados por los hombres, se introduce un léxico diferente y se modifica el uso de la sintaxis. [...] En la búsqueda de identidad se descartan lo apolíneo, el logocentrismo, el procedimiento ordenado, prefiriendo la asociación libre de inspiración dionisíaca. Con esto se introduce también una diferente percepción del tiempo; en vez de una exposición lineal, dentro de cánones racionalmente establecidos, se va hacia la sugerencia casi poética o mística y la repetición cíclica1. »

Les romans de cette période et, en particulier ceux qui ont un arrière-plan érotique et sexuel, ont en effet, une structure complètement nouvelle, un type d’écriture révolutionnaire, qui bouleverse le procédé linéaire et chronologique des œuvres précédentes. Une écriture qui suit le flux de la pensée, le monologue intérieur des protagonistes, qui, avec la romancière, au travers des mots, se cherchent et cherchent leurs propres racines : une recherche qui est aussi souffrance, une renaissance douloureuse vers l’affirmation de soi et de sa propre condition de femme. Pour le dire avec les mots de Maria Alessandra Giovannini :

« Questo carattere ‘patetico’ conferito allo stile senza mediazioni o attenuanti si presenta come riflesso del dolore con cui veniva condotta la propria ricerca interiore, tanto da influire profondamente sulla struttura stessa del testo e condizionarne la costruzione a tutti i livelli – lessicale, sintattico, retorico -, rivendicando e ribadendo così la propria diversità di scrittura come diretta conseguenza di una diversità innanzitutto biologica rispetto all’uomo2. »

L’exemple fondamental de cette nouvelle affirmation du féminin dans la littérature est, précisément, Esther Tusquets, qui pourrait être considérée comme une des pionnières, une des fondatrices de la nouvelle novela espagnole, surtout en ce qui concerne les sujets particuliers de l’érotisme et de l’amour lesbien. Rosalía Cornejo Parriego affirme : « Esther Tusquets es una autora indispensable por la frecuencia y constancia con las que ha representado el lesbianismo y deseo entre mujeres en su narrativa y a la que a menudo se alude como una de las principales representantes de la literatura lésbica española3. » Avec son premier roman El mismo mar de todos los veranos, qui est sans doute son chef d’œuvre et une des plus importantes œuvres de la période de la transición, elle devient, en effet, la plus importante écrivain espagnole à représenter de manière si explicite l’amour entre deux femmes, un amour non seulement mental, mais aussi et surtout passionnel, charnel. Tusquets s’engage de cette manière sur un terrain qui n’a pas de précédent dans la tradition littéraire espagnole, libre de toute censure. Les deux autres novelas qui composent la Trilogía del mar complètent ce travail de recherche d’une nouvelle identité, en présentant une femme, Elia, la protagoniste, qui vit des expériences très différentes qui l’amènent cependant à une profonde conscience de son être, à travers en premier lieu ses expériences sexuelles et amoureuses.

Dans le premier roman, la protagoniste, professeur de littérature mûre et désenchantée, se réfugie dans la maison de son enfance après une crise conjugale avec Julio. À l’université, pendant un de ses cours, et grâce à une amie, elle fait la connaissance de la jeune Clara, avec qui elle commence une relation érotique. Ce rapport lui redonne la sérénité, perdue depuis longtemps, quand le seul amour de sa vie, Jorge, s’est suicidé, la laissant dans le désespoir. Elle renonce finalement à ce bonheur, en retournant vers Julio et à sa vie de tous les jours, et abandonnant la jeune fille. Dans la deuxième œuvre de la trilogie, El amor es un juego solitario, apparaît une Elia déprimée, apathique et insatisfaite, qui commence une relation avec un garçon beaucoup plus jeune qu’elle, Ricardo, un poète « inexperto, torpe, solitario4 », que la femme initie aux joies du sexe. Clara, tombée éperdument amoureuse d’Elia, est impliquée dans leurs jeux érotiques, et s’établit ainsi une relation triangulaire, dans laquelle, finalement, celui qui domine est justement le garçon, et où la victime n’est autre que Clara. L’œuvre qui clôt la trilogie, Varada tras el último naufragio, se déroule pendant la période estivale, dans une maison où deux couples, l’un formé par Eva et Pablo, l’autre par Elia et Jorge, ont pour habitude de passer leurs vacances. Cet été là cependant est différent des précédents, car Jorge et Elia traversent une crise profonde dans leur mariage : l’homme ne passe pas ses vacances avec eux, et la femme passe son temps entre les antidépresseurs, les journées infructueuses passées devant la machine à écrire et l’apathie totale. Eva et Pablo aussi traversent une période difficile, due à une infidélité de l’homme, qui cherche de nouvelles expériences qui lui rappellent sa jeunesse perdue. Dans ce contexte s’insère, encore une fois, Clara, une jeune fille tombée follement amoureuse d’Eva, qui vient d’une famille problématique et peu encline aux sentiments : c’est justement Eva, s’occupant souvent des plus malheureux, qui l’amène dans cette maison pendant l’été. Avec un épilogue très semblable à celui des novelas précédentes, Clara est ramenée à sa famille et abandonnée à son sort. Comme on a pu le voir, il y a donc toujours à la base de la narration un ou plusieurs rapports « amoureux », au sein des quels pourtant personne n’est heureux, dont aucun ne satisfait complètement ceux qui le vivent, et tous, même le plus irrésistible comme celui de Clara et Elia dans El mismo mar, finissent dans une grande souffrance.

Pour décrire et raconter ces histoires de douleur, Tusquets, avec une voix à la première personne dans El mismo mar et à la troisième personne dans ses deux autres romans, utilise ce type d’écriture dont on a parlé, un langage décomposé sous tous les points de vue, sémantique, lexical, chronologique : les situations décrites, et en particulier celles liées à l’éros, donnent la sensation d’être vécues toutes d’un trait, sans un moment de répit, car elles sont totalisantes, enveloppantes, déchirantes. Une femme qui cherche dans une autre femme, l’amour, la passion, le rachat, la compréhension. Elia cherche en Clara, dans ses deux premiers romans, un alter ego, un port sûr où se réfugier, non pas seulement à travers l’acte sexuel, mais aussi par ses preuves d’amour quotidiennes et le don total de soi :

« Clara ama a Elia de un modo tan desesperado, tan exclusivo, tan doloroso y total, que ni fijarse puede en nadie más. Y Elia piensa ahora desde una perspectiva nueva, recién adquirida, en esta niña flaca de ojos grandes que la acompaña y la sigue desde hace semanas, desde hace quizá meses, a todas partes, que le hace favores y recados, que le llena la alcoba de bombones y nardos, de unos libros extraños que a Elia no se le hubiera ocurrido nunca comprar y que no se le ocurre tampoco hojear ni leer, una chica que está siempre, o casi siempre, en algún rincón de la casa, tan quieta, tan pasiva, tan callada, qui ni cuenta se da uno de su presencia, pero pronta en cualquier instante a escucharla [...], a intentar sacudirle de encima el desaliento o la depresión o la tristeza, pronta a secarle el pelo o a preparar un té decente [...], o a pasarle unas cartas a máquina, tan útil, tan devota y tan callada esta niña5. »

C’est cette même dévotion totale qu’éprouve Clara dans Varada tras el último naufragio, cette fois-ci envers Eva, qui trouve pourtant fastidieuses les attentions et l’attachement de la jeune fille.

Cette recherche continuelle d’affection, de contact, d’acceptation dérive toujours d’un passé familial négatif, où la figure paternelle est presque inexistante, alors que la figure maternelle n’aime pas, n’est pas présente. L’écrivain, qui a toujours refusé un parallèle autobiographique avec ses personnages, a avoué qu’il s’agit d’un aspect de ses œuvres dérivant directement de son expérience personnelle : « Mi madre », affirme Tusquets, « no me quiso lo bastante de pequeña… Mi madre no fue, me parece, la mejor de las madres6 ». La mère d’Elia de El mismo mar a toujours été absente, à cause de ses voyages, des distractions de sa vie typique de la haute bourgeoisie, et ne lui a jamais transmis d’amour ou de chaleur humaine :

« Y cuando pienso en la madre de mi infancia, con sus ojos azules que podían realmente y sin metáfora despedir rayos de fuego, o tal vez fríos rayos de hielo, que te dejaban en ambas posibilidades fulminada, bien clavada en tu silla con el terror en el pecho, mi madre con sus palabras medidas, razonables, tan justas que no admitían réplica, con sus labios distantes que besaban tan poco, tan asépticos - los besos exactos que prescribía tal vez el manual de pediatría -, creo que yo la amaba por el perfume agreste que emanaba de ella y tomaba para siempre posesión de sus cosas, y por aquellas manos tan suaves, tan hermosas - que parecían adecuadas para poder ser, quizá, tan maternales -, siempre secas y frías, que se posaban como manos de hada sobre mi frente en las noches de fiebre. »7

De même, la mère de Ricardo, dans le deuxième roman de la trilogie, est loin de l’image maternelle typiquement douce et affectueuse ; c’est une femme qui dispense « un beso tan aséptico y formal que es casi el anagrama de un beso8 », qui a sans doute consacré sa vie entière au bonheur de son fils, mais sans jamais lui démontrer, encore moins physiquement, son amour. Une mère semblable à la mère de Clara, qui ressent surtout dans les derniers romans l’abandon maternel, qui la porte à chercher dans d’autres femmes adultes le point de repère de sa vie : « La madre –piensa Clara – no la ha querido nunca […] del modo en que ella necesitaba ser querida y le ha dejado como una marca indeleble esta carencia de amor, este déficit insalvable, este lastre que arrastrará consigo toda la vida9. » En effet, dans Varada, Pablo inclut Clara dans les personnes « a las que nadie ha querido10 », qui sont d’ailleurs celles que sa femme Eva accueille sous sa protection.

Le manque d’amour, à partir de l’amour maternel, porte donc à la recherche de soi, de sa propre identité perdue, à travers un autre type d’amour, un amour passionnel et érotique. Les scènes de sexe explicites au sein de la trilogie ne sont cependant pas nombreuses, tout au contraire, mais se concentrent surtout dans le premier roman. Il s’agit, dans El mismo mar, des rapports entre Elia et Clara, tout comme dans El amor, opus dans lequel on trouve aussi la relation entre Ricardo et Elia, et à une occasion, à trois avec la jeune fille. Ces scènes disparaissent presque complètement dans Varada. C’est une sorte de diminutio de l’intensité érotique, qui marque le développement de la vie des personnages, et marque la conquête d’une prise de conscience de soi, qui a lieu aussi par les souvenirs d’enfance, les personnages des contes, tels que Peter Pan, et l’analyse intérieure.

Dans El mismo mar, Elia retrouve en Clara son essence, un refuge des souffrances, une femme semblable à elle-même, jusqu’à affirmer qu’elle a « los ojos abrasados que me turban y me devuelven a la adolescencia11 », si éloignée de sa mère et de sa fille qui ne l’ont jamais comprise, et dont elle se sent si distante. La première rencontre intime entre les deux femmes est caractérisée par la voracité, l’emportement, comme deux animaux en chaleur :

« Uno de sus brazos me rodea con fuerza sorprendente la cintura - estoy arrodillada en el suelo, a su lado, junto a la cama - y la otra mano se aferra a mi nuca, a mis hombros, a mi pelo, y atrae mi cabeza repetidamente hacia la suya, hacia su boca abierta, anhelante, sedienta y abrasada, su boca que me besa y emite al mismo tiempo – o entre beso y beso- un gemido ahogado, que no es humano ni animal siquiera, un gemido ronco como el del mar o el viento en las noches sin luna de sábados terribles, en que andan sueltas las meigas y las brujas calientes del sur, entre maullidos de gatos negros encelados y furioso restregar de sexos ávidos contra las escobas12. »

Cette fureur initiale deviendra petit à petit, au fil des rapports successifs, douceur, attention, complicité. Elia abandonne alors Clara, et vaincue par l’insistance de Julio, elle retourne à ses côtés.

Dans le deuxième roman, est décrit le rapport physique entre Elia et Ricardo : ce dernier, timide et inexpert, est initié aux pratiques érotiques par la femme, tant et si bien qu’il deviendra par la suite sûr et dominant dans le couple (le garçon aussi avait eu, à l’école, des expériences homosexuelles avec un camarade de classe, « masturbándose los dos chicos recíprocamente, bajo el pupitre atestado de libros y cuadernos13 »). Il en arrive à demander la présence de Clara pendant leurs rapports intimes mais cette dernière, impliquée à son insu, n’a aucune intention d’être soumise aux convoitises du poète, surtout parce qu’elle est complètement et indissolublement amoureuse d’Elia, dont elle est aussi très jalouse. C’est elle seule l’objet de son désir. Entre les deux femmes, il y a en effet une occasion de rencontre intime, pendant laquelle Clara tremble déjà à la seule proximité de l’aimée ; ce contact pourtant a perdu tout ce qu’il avait d’impétueux et passionnel dans le premier roman, pour devenir tendre et presque maternel :

« Elia se ha acercado a la cama, se ha tendido a su lado, le ha pasado un brazo por debajo de la nuca, la ha estrechado muy suave contra sí, y le dice «¿por qué tiemblas, bonita?, ¿de qué tienes tú miedo? ». Y la mece y la arrulla como si Clara fuera de verdad una niña chiquita. Hasta que va cesando el temblor y desaparece poco a poco el miedo, y despacio, muy despacio, Clara va logrando volver a respirar. Y sólo entonces Elia la oprime un poquito más fuerte y le dice al oído « bonita mía, niña mía, mi guapa ». [...] la que la está acunando es una muchachita infinitamente triste y desolada, una pobre mujer que lucha inútilmente por escapar con sus sueños del pantano, y que acuna en sí misma, al acunarla a ella, todas las soledades y los miedos. [...] y se acarician las dos con el mismo cuidado con que se acaricia a un animal herido, con la misma ternura con que se toca a un recién nacido, hasta que la mano de Elia se desliza suave entre las ingles húmedas y tibias, y se inmoviliza Clara en un primer momento de sobresalto y desconcierto, y luego gime quedo y se oprime más estrechamente contra el cuerpo de Elia y se estremece y queda finalmente, como una niñita buena, adormecida14. »

Elia, en cherchant à trouver un sens à sa vie, à trouver son essence, se fait mère protectrice de cette jeune fille qui l’aime sans compromis, qui se donne complètement à elle, mais qui perd lorsqu’elle permet à un tiers d’entrer dans leur relation.

Dans le dernier livre, enfin, il n’y a pas de description des scènes érotiques, sauf pour cette scène brève et fugace qui implique Pablo et une chica très jeune, avec qui l’homme commence une histoire extraconiugale. L’amour profond, dans Varada, est celui que Clara éprouve toujours, cette fois-ci pour Eva, qui ne veut pourtant pas le partager, en étant presque agacée. Elia, dans ce dernier récit, est une femme déprimée, qui cherche à comprendre quoi faire de sa vie après avoir perdu celui qui était au centre de toute son action et le signifié de chacune de ses journées : son mari Jorge. Dans sa maison de vacances, elle vit les événements quotidiens de manière détachée, surtout parce qu’elle est abasourdie par les calmants et les antidépresseurs, mais un événement la réveille de sa torpeur : c’est le moment où elle va rendre visite à son fils presque adolescent Daniel, en vacances en France. Lorsqu’elle lui confie qu’elle et son père vont se séparer et qu’elle va partir, le garçon lui répond « yo quiero vivir contigo15 » : c’est à partir de ce moment qu’Elia se rend compte de sa vraie essence, de ce que peut signifier son fils pour elle, et prend conscience de son identité de mère. Cette identité explose et se révèle impétueuse dans le dernier monologue du livre, écrit sans aucune ponctuation, dans lequel la protagoniste parle à la première personne, s’adressant à son fils, reconnaissant que c’est l’amour, en tant que sentiment absolu, qui donne du sens aux choses, et non pas la personne aimée. Elia affirme en effet : « aprendí que ciertamente la existencia del hombre sobre la tierra es en muchos aspectos en muchísimos momentos atroz pero que con toda certeza el amor sólo el amor es fuerte como la muerte puede alzarse contra la muerte como un estandarte en llamas como una enseña sagrada sólo el amor es fuerte y terrible como la muerte16. » Le roman se termine avec l’aveu de la femme de « estar contenta de verdad contenta », parce qu’elle s’est finalement retrouvée.

Avec ces trois œuvres, Tusquets s’est immergée dans l’exploration la plus profonde du thème érotique et saphique dans la littérature espagnole contemporaine. L’aspect érotique, fondamental dans les trois textes, n’est pas là par hasard. Il est un moyen pour les héroïnes d’arriver à se comprendre, à atteindre la pleine conscience de soi, pour être finalement et complètement satisfaites de leur vie.

 

BIBLIOGRAPHIE:

Alonso Santos, La novela española en el fin de siglo. 1975-2001, Madrid, Mare Nostrum, 2003.

Ciplijauskaité Biruté, La novela femenina contemporánea (1970-1985). Hacia una tipología de la narración en primera persona, Barcelona, Anthropos, 1994.

Cornejo Parriego Rosalía, Entre mujeres. Política de la amistad y el deseo en la narrativa española contemporánea, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007.

Giovannini Maria Alessandra, « Quando la ‘voce’ del romanzo è (una) donna: l’ultima Esther Tusquets », in Fine Secolo e Scrittura: dal Medioevo ai giorni nostri, XVIII Convegno Associazione Ispanisti Italiani, Siena 5-7 marzo 1998, Roma, Bulzoni, 1999, p. 359-369.

Tusquets Esther, Trilogía del mar, Ediciones B, Barcelona, 2011.

 

1 Ciplijauskaité Biruté, La novela femenina contemporánea (1970-1985). Hacia una tipología de la narración en primera persona, Barcelona, Anthropos, 1994, p. 17.

2 Giovannini Maria Alessandra, « Quando la ‘voce’ del romanzo è (una) donna: l’ultima Esther Tusquets », in Fine Secolo e Scrittura: dal Medioevo ai giorni nostri, XVIII Convegno Associazione Ispanisti Italiani, Siena 5-7 marzo 1998, Roma, Bulzoni, 1999, p. 361.

3 Cornejo Parriego Rosalía, Entre mujeres. Política de la amistad y el deseo en la narrativa española contemporánea, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007, p. 47.

4 Tusquets Esther, « El amor es un juego solitario », in Trilogía del mar, Ediciones B, Barcelona, 2011, p. 218.

5 Ibid., p. 229-230.

6 Tusquets Esther, El mismo mar de todos los veranos, introducción de Santos Sanz Villanueva, Madrid, Castalia, 1997, p. 9.

7 Tusquets, Esther, « El mismo mar de todos los veranos », in Trilogía del mar, op.cit., p. 70.

8 Tusquets, Esther, « El amor es un juego solitario», in Trilogía del mar, op.cit., p. 296.

9 Ibid., p. 275.

10 Tusquets, Esther, « Varada tras el último naufragio », in Trilogía del mar, op.cit., p. 370.

11 Tusquets, Esther, « El mismo mar de todos los veranos », in Trilogía del mar, op.cit., p. 84.

12 Ibid., p. 104.

13 Tusquets, Esther, « «El amor es un juego solitario », in Trilogía del mar, op.cit., p. 224.

14 Ibid., p. 293.

15 Tusquets Esther, « Varada tras el último naufragio », in Trilogía del mar, op.cit., p. 510.

16 Ibid., p. 542.



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- Auteur : Giuseppina Notaro
- Titre : Amour saphique et identité : la trilogie d’Esther Tusquets
- Date de publication : 09-11-2015
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=159
- ISSN 2105-2816