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COLLOQUES


LE DÉFAUT : Études en hommage à Camille Dumoulié


Riquet à la houppe, défaut et désir féminin

Elisabeth Rallo


Université de Provence, CIELAM

 

On a souligné plusieurs inconséquences dans le conte de Perrault « Riquet à la houppe »1, et il est vrai que bien des points du texte semblent exiger une élucidation : pourquoi la belle princesse a-t-elle une jumelle stupide et laide comme une guenon ? Comment se fait-il que Riquet tombe amoureux d’une fille si sotte, que tous les prétendants délaissent au bout d’un quart d’heure ? Que vient faire le banquet de noces au milieu des bois ? Pourquoi le conte suppose-t-il que le « miracle » de la fée est réel pour la Princesse et une farce pour Riquet ? Pourquoi la Princesse est-elle aussi hésitante à l’idée d’épouser un Prince vraiment charmant qu’elle a rencontré au château ? Autant de questions sans réponses dans le texte lui-même. Autant d’incitations à chercher une réponse ailleurs, peut-être dans la mise en scène de ce qui se passe lorsqu’une femme est face à son désir.

Avertissons le lecteur que ce qui suit n’est guère politiquement correct : nous sommes au XVIIe siècle et Perrault n’a pas l’heur de connaître les dictats du féminisme d’aujourd’hui – que je ne partage pas tous. Allons donc voir ce qui se passe dans un « conte du temps passé » sans le juger à l’aune des valeurs d’aujourd’hui.

Avant Perrault

En 1695, un superbe manuscrit, décoré de vignettes en couleurs et d’un frontispice colorié à la gouache, est remis à Mademoiselle. Il contient une dédicace « À Mademoiselle » signée « P. D. » (Perrault d’Armancour) et cinq contes en prose (« La Belle au bois dormant », « Le Petit Chaperon rouge », « La Barbe Bleue », « Le Maître Chat ou Le Chat botté » et « Les Fées »). En 1696, alors que Perrault est en train de travailler à l’impression de ses contes, Catherine Bernard publie un roman galant intitulé Inès de Cordoue, nouvelle espagnole2. À la cour de Philipe II, les deux favorites de la reine, Inès de Cordoue et Léonor de Silva, tombent amoureuses du Marquis de Leme, qui choisit Inès. À une séance de contes, une joute est organisée et les deux jeunes filles vont devoir faire leurs preuves. Inès raconte l’histoire du Prince Rosier, Léonor celle de Riquet à la Houppe. Le Marquis, qui est tombé amoureux d’Inès, ne tarit pas d’éloges sur Le Prince Rosier et ne dit rien sur Riquet à la Houppe. Le conte passe à la trappe. Riquet à la Houppe de Catherine Bernard repose sur un topos galant : celui de l’amour qui donne de l’esprit. On reviendra sur cette idée, car comment oublier que La Fontaine a publié ses Contes et qu’il y en a un dont le titre est « Comment l’esprit vient aux filles » ? Mais revenons au conte de Catherine Bernard : Mama est fille unique d’un grand seigneur de Grenade, elle est très belle mais sa bêtise pèse à tout le monde. Un jour, elle rencontre un gnome qui lui promet de l’esprit à condition qu’elle l’épouse dans un an. L’héroïne fait sa rencontre : « Elle vit sortir de la terre un homme assez hideux pour paroître un monstre » (p. 47), et plus tard, Mama accepte et, devenue intelligente, choisit un amant. Le terme fixé, elle peut ou redevenir idiote, ou épouser Riquet, qui se révèle le roi des gnomes – « Je suis le Roy des Gnomes, vous en serez la Reine » (p. 57) – et lui présente son royaume : une caricature de la vie de cour. Mama accepte sa main parce qu’elle ne veut pas redevenir idiote et craint que son amant ne la repousse si elle perd son esprit. Elle le fait venir sous terre et vit une double vie la nuit. Quand Riquet s’en aperçoit, il change l’amant en gnome. La morale tient plus du fabliau que du conte : « Les amans à la longue deviennent des maris » (p. 72). On compte à l’époque quatre types de créatures qui sont reliés aux quatre éléments : les nymphes pour l’eau, les sylphes pour l’air, les salamandres pour le feu et les gnomes pour la terre. Mama se trouve donc obligée de vivre sous terre auprès d’un homme qui semble tenir du diable sa laideur, sa richesse et sa puissance. La figure du gnome, selon Emmanuelle Sempère, « implique […] une densité charnelle » : « il est la laideur même, obscène par ce trop-plein de présence, incarnant en quelque sorte le désir monstrueux de l’épousée »3. Voilà une précision qui est fort importante. Déjà dans le choix du personnage se profile la raison du choix de Mama, son désir.

Riquet à la Houppe

Mal aimé du recueil en prose de Perrault, « Riquet à la Houppe » est celui qui a le moins intéressé la postérité et qui a le moins suscité de critiques et de réécritures4. Le conte tourne autour de la question du mariage. Une princesse aussi belle que bête se voit délaissée de tous, alors que sa sœur parvient par son esprit à faire oublier sa laideur, et la pauvre princesse donne de l’impatience même à sa mère : « La reine, toute sage qu’elle était ne put s’empêcher de lui reprocher sa bêtise, ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse » (p. 175). À l’une l’esprit fait défaut, à l’autre, la beauté. Cette princesse qui n’est qu’une « bête » comme elle le dit elle-même, séduit par l’intermédiaire de son portrait (donc « en silence »), un prince hideux, qui partage le défaut de beauté de sa sœur, mais qui est paré de toutes les qualités. Ce pauvre Prince, Riquet, est né laid comme un « marmot », un singe, il est bossu et contrefait et a une ridicule houppe sur la tête. Comment supposer que le portrait que voit Riquet ne reflète en rien la sottise de la belle ? Le prince le comprend : grâce à une fée, il a le don de rendre intelligente celle qu’il aimera, il est tombé sur la bonne personne. De plus, si elle l’aime en retour, il deviendra beau. Il lui propose donc un marché au cours de leur première rencontre dans le bois où la pauvre fille est allée « plaindre son malheur ». Marché très clair : si vous voulez avoir de l’esprit, épousez-moi. Mais comme je suis galant homme, je vous laisse un an de réflexion. Curieuse attitude de la part de Riquet : la suite du conte nous montre qu’il ne doute pas un instant de la réussite de son projet, puisqu’il fait préparer à l’avance son repas de noces. Pourquoi est-il si sûr de lui ? Et que s’est-il passé lors de la première entrevue ?

La belle idiote, maladroite et gauche, ne parle guère. Elle est, comme à l’accoutumée, tout interdite devant Riquet et ses propositions. Mais elle ne manque pas de lucidité et sait au moins qu’elle est bête. De plus en plus intelligente, elle prend plaisir à la compagnie de celui qu’elle tient pour « l’homme du monde qui a le plus d’esprit » (p. 178), elle se lance dans une conversation galante et soutenue, elle rivalise d’esprit avec lui, elle lui fait même craindre de lui en avoir trop donné ! L’entente entre eux semble parfaite. Chose étrange cependant, une fois revenue à la cour, la princesse oublie Riquet et sa promesse. Dira-t-on qu’elle « refoule » quelque chose, et qu’elle adopte une position de déni ? Il s’est passé dans le bois quelque chose qu’elle préfère oublier. Elle rencontre d’autres princes et entre autres charmants jeunes gens, un vrai prince charmant pourvu de toutes les qualités… Hélas, elle n’éprouve pour lui que « de la bonne volonté » – sans plus.

La princesse se retrouve dans les bois un an plus tard et, après avoir vu les préparatifs de la noce, retrouve Riquet. Va-t-elle tenir parole ? Depuis qu’elle est intelligente, elle réfléchit beaucoup – trop ? – et a bien du mal à se décider pour le mariage : dans ce genre d’affaires, l’intelligence est un frein à l’action, car on est « difficile en gens », on veut être sûr de soi, on pèse le pour et le contre, bref, on hésite. Même quand le prétendant a toutes les qualités, si on éprouve seulement de la « bonne volonté », cela n’est-il pas suffisant pour penser qu’il ne serait pas sage de l’épouser, et qu’on en « veut » un autre ? Riquet emporte l’adhésion absolue, la princesse le dit elle-même – à ceci près que son défaut de beauté en fait un monstre. Comment se résoudre à paraître à la cour avec un tel gnome ? Que penseront les courtisans ? Quelles conclusions tireront-ils sur le penchant de la princesse : même un mariage de raison ne justifierait pas un tel sacrifice. Il faut alors supposer qu’il lui plaît. Dieu du Ciel, comment est-ce possible ?

Pour que Riquet devienne beau, il faut que la Princesse l’aime assez pour le souhaiter : vous aurez le pouvoir de « rendre beau celui que vous aimerez » (p. 179) a dit Riquet. Il ne parle pas d’estime ou d’inclination. Et la princesse aime assez Riquet – depuis le premier jour – pour que le miracle s’accomplisse. Voilà la décision prise immédiatement, comme si tous les obstacles avaient été levés, Riquet est maintenant « présentable ». Voilà Riquet prince charmant. Les deux mariés vont à la Cour, le Roi est bien obligé d’accepter ce mariage… Le narrateur malicieux suggère une autre hypothèse, avancée par les esprits malveillants : Riquet est toujours aussi laid, mais l’amour a accompli une métamorphose : la princesse, aveugle comme il se doit quand on est amoureuse, le voit beau et cela suffit.

« Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la Fée qui opérèrent, mais que l’amour fit seul cette métamorphose. Ils disent que la Princesse ayant fait réflexion sur la persévérance de son Amant, sur sa discrétion, et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps, ni la laideur de son visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos, et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait […]. Quoiqu’il en soit, la Princesse lui promit sur le champ de l’épouser […].

Moralité: […] Tout est beau dans ce que l’on aime, / Tout ce qu’on aime a de l’esprit. » (p. 180-181)

Dans le Dialogue de l’Amour et de l’Amitié5, écrit avant les Contes, Perrault fait dire à l’Amour qu’il est « décrié » parmi les femmes. Celles-ci rougissent de lui,et préfèrent parler d’estime ou d’amitié pour masquer ce qui est clairement désigné comme désir. « Je n’ai point de plus grand plaisir que de rentrer dans un cœur incognito… ce sont des petites façons qu’elles s’imaginent que leur gloire les oblige à faire » (p. 215). Ne peut-on penser que la princesse fait des façons ? D’autant plus qu’elle doit se résoudre à éprouver du désir pour un homme à qui la beauté fait défaut, et qu’elle est sollicitée par le plus parfait des prétendants. Comment faire face à cette situation ? D’abord, en tergiversant pour épouser le prince charmant, parce qu’elle n’éprouve pas assez de désir pour lui : bel exemple de lucidité. Ensuite, en « oubliant » Riquet et ce qu’il a suscité en elle : bel exemple de déni. Enfin, en essayant de rationaliser son choix : puisqu’il m’est insupportable et impossible de désirer un monstre, je m’aveugle et je le change, bel exemple de mauvaise foi. Une fois le compromis avec soi-même trouvé, on peut laisser faire le désir, d’autant que les autres qualités de Riquet peuvent donner à autrui une raison de rationaliser à son tour : la princesse voit la belle âme de son mari au-delà de sa laideur, l’amour est voyant et non aveugle, il dépasse les apparences. Dans cette hypothèse on fait l’économie du désir « bestial » que cette belle si bête éprouva dans les bois pour un homme à qui la beauté fait autant défaut.

« On remarque en effet que tous les amants, quelque fous qu’ils soient, veulent paraître sages, et qu’on n’en voit point qui ne prétendent être fort raisonnables ; mais de toutes leurs extravagances je n’en trouve point de plus plaisante que celle qui est commune à tous, je veux dire la forte persuasion qu’ils ont que la personne qu’ils aiment est la plus belle et la plus accomplie de toutes celles qui sont au monde » (p. 230).

Topos d’époque repris par Boileau et Molière… Et dans ce « Dialogue », toute une partie semble préfigurer la « métamorphose » de Riquet aux yeux de sa Princesse : « les amants ne jugent aussi favorablement de la beauté qu’ils aiment que parce qu’ils ne la voient jamais qu’à la lueur de leur flambeau » (p. 231). Tout est dit en filigrane : les femmes voilent leur désir sous divers noms (« Estime, Complaisance, Bonté », p. 215) et font de petites manières : mais la vérité est là. Même des personnes dont l’humeur et l’inclination sont tout à fait opposées se désirent et « s’entr’aiment ». Le désir exerce un attrait irrésistible et les phénomènes amoureux suivent.

Voilà pourquoi Riquet est si sûr de lui ; il peut faire préparer la noce, la belle est à lui, il sait qu’il lui offre un moyen de se convaincre à peu de frais : l’histoire du don de la fée. Pourquoi les intelligents devraient-ils être plus malheureux que les idiots qui ne se posent pas tant de questions et se laissent aller au désir ? Mais les malins ont plus d’un tour dans leur sac : par exemple l’art de la parole, la mauvaise foi, la rationalisation. Riquet est arrivé à ses fins et tout est bien qui finit bien… Revenons tout de même sur l’histoire du Roi des gnomes. Riquet est laid, et surtout il porte cette « houppe » qu’il n’arrive pas à discipliner : elle est sur le sommet de sa tête, toujours dressée. S’il y a signe de sa virilité, de son « trop plein de présence », c’est bien sa houppe, qui ressemble à la huppe d’un animal. Est-ce la houppe dressée sur le crâne qui a plu à la Princesse ? Pourquoi pas ? Non seulement la houppe fait signe mais la parole vient au secours du désir : les beaux parleurs augmentent leur séduction, et Riquet est maître en l’art de la séduction langagière.

Si Perrault garde l’histoire du repas de noces souterrain, c’est parce qu’il ne renonce pas à la figure du gnome sexuellement attirant, comme il ne renonce pas à l’apparence un rien diabolique de Riquet. Perrault a gardé l’aspect tellurique du conte. Non seulement Riquet est un « gnome » mais il a quelques attributs du Diable, la bosse, la claudication – on sait que le Diable est « supérieur à l’homme dans l’étreinte », comme dit Brassens du Gorille de la chanson. Quiconque a lu Rosemary’s Baby se souviendra de la scène de l’accouplement entre le Diable et la jeune femme. Une raison de plus pour supposer que la Princesse est attirée sexuellement dès le début par Riquet.

Des écrivains contemporains ont réécrit le conte de « Riquet ». Lydie Salvayre propose en 2002 une nouvelle intitulée De l’avantage d’être laid. Son Riquet, prince de l’immobilier, tombe amoureux d’une belle idiote et lui fait croire aux fées pour coucher avec elle6. L’année d’après, Catherine Millet écrit Riquet à la houppe, Millet à la loupe7, enfin en 2015, Gérard Mordillat écrit une nouvelle intitulée « La Véritable Histoire de Riquet à la Houppe8 ». Amélie Nothomb enfin publie en 2016 un roman dont le titre est Riquet à la Houppe. Dans Politique du Conte, Alice Brière-Haquet publie analyse les trois premiers ouvrages dans un chapitre intitulé « Riquet à la Houppe. Le triomphe de la laideur » :

« Trois auteurs s’y essayent, deux femmes et un homme, tous trois nés entre 1948 et 1949, et donc ayant tous trois vécu la révolution sexuelle de 1968, ils dressent au seuil de la maturité, un point sur le désir aujourd’hui. […] Lydie Salvayre et Gérard Mordillat transposent tous deux le conte de Perrault dans un contexte moderne. […] La démarche de Catherine Millet est très différente. Elle n’actualise pas le conte dans la société moderne, mais dans sa propre vie. Elle l’associe à sa quête autobiographique entamée dans La Vie sexuelle de Catherine M. et relit son enfance à l’aune des mythèmes perraldiens »9.

À vrai dire, ni le texte de Lydie Salvayre ni celui de Gérard Mordillat n’apportent du nouveau : le sexe est, bien entendu, au premier plan et l’hypothèse développée plus haut, mise au grand jour. La vulgarité est de mise et tout est coucherie et baisades, sans plus, encore que chez Lydie Salvayre, la jeune fille devenue intelligente, se met à lire des ouvrages sérieux et difficiles… Pour Catherine Millet, c’est assez différent et plus intéressant. Elle se réapproprie le conte de façon originale et raconte sa venue à l’écriture, une « voix qui ne craint pas de s’appuyer sur le laid ». Amélie Nothomb corrobore notre hypothèse à sa façon. Elle revient au conte de La Fontaine : « une note en bas de page attira son attention : ‘Dans la littérature facétieuse, donner de l’esprit signifiant s’initier à l’amour physique’10 » et lorsque sa jeune Trémière rencontre Déodat-Riquet, le coup de foudre est immédiat. Trémière, à la lecture du conte, avait compris que les hommes au physique avantageux ne lui plaisent pas et elle se résout à aimer « un monstre ». Ce monstre de Déodat, ornithologue distingué, lui plait en un instant, et l’attirance est réciproque. Il s’agit bien de désir « au premier coup d’œil », indépendamment de la séduction et des affinités électives. Et Trémière, écrit l’auteure, ne voyait « plus la laideur du jeune homme depuis qu’elle l’aimait11 ». Ainsi se termine le roman d’Amélie Nothomb, comme le conte de Perrault.

Voilà donc notre lecture du conte : la Princesse stupide arrive dans le bois et rencontre un homme très laid qui immédiatement lui « plaît ». Tous les deux ont un grave défaut que l’autre peut effacer, mais la condition est sans appel, il faut qu’ils passent outre et qu’ils s’aiment. Comment expliquer l’attirance de deux personnes qui se rencontrent pour la première fois, dans les scènes très célèbres des « yeux qui se rencontrèrent » ? On peut voir les choses de façon « romantique » : deux êtres sont destinés l’un à l’autre et se « reconnaissent » dans « cet ignoble bal masqué que l’on nomme le monde » comme l’écrit Stendhal12. Mais on peut aussi constater que c’est l’attirance physique qui est première, avant même qu’on ne se parle. Et c’est bien ce que Perrault semble mettre en scène dans son conte. Les contemporains, qui insistent sur l’aspect sexuel de l’histoire, ont compris le message caché de Perrault, qui explicite sa conception du désir des femmes dans le Dialogue de l’Amour et de l’Amitié. Conception misogyne ? Sans doute. Conforme aux mentalités de son temps ? Sûrement. On relira à l’occasion le conte en vers de La Fontaine, « Comment l’esprit vient aux filles ». La femme, pour Perrault, désire ce qui est « la bête » en l’homme, avant tout sa « virilité ». (Et Riquet en a « en excès »). Elle s’arrange avec le reste, se raconte des fables, et la galanterie prend le relais. Alors qu’importe le défaut de beauté ? Au contraire, peut-être ? La Belle va donc « aimer » la Bête, pour le plus grand plaisir de celle-ci…

 

1Voir, entres autres : Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, Paris, Tel Gallimard, 1978 ; Marc Escola, Contes de Charles Perrault, dossier et commentaires, Paris, Gallimard, « foliothèque 131 », 2005.

2 Monique Vincent, « Les deux versions de Riquet à la Houppe : Catherine Bernard (mai 1696), Charles Perrault (octobre 1696) », Littératures Classiques, 1995, 25, p. 299-309. Nous indiquons entre parenthèses la pagination des citations d’après l’édition suivante : Inès de Cordoue, nouvelle espagnole [1696], Genève, Slatkine Reprints, 1979.

3 Emmanuelle Sempère, De la merveille à l’inquiétude : le registre du fantastique dans la fiction narrative au XVIIIe siècle, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, p. 297.

4 Nous mentionnons entre parenthèses la pagination des citations d’après l’édition suivante : Charles Perrault, Contes, Paris, Classiques Garnier, édition établie par Gilbert Rouger, [1981], 1991, p. 175.

5 Dialogue de l’Amour et de l’Amitié, dans Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 213-233 (nous citons la pagination des citations entre parenthèses).

6 Lydie Salvayre,« De l’avantage d’être laid », dans (Coll.), Les Contes de Perrault revus par..., Paris, La Martinière, 2002, p. 157-171.

7 Catherine Millet, Riquet à la Houppe, Millet à la loupe, Paris, Stock, 2003.

8 Gérard Mordillat, dans (Coll.), Leurs Contes de Perrault, Paris, Belfond, 2015, p. 14-28.

9 Alice Brière-Haquet, Politique des contes : Il était une fois Perrault aujourd’hui, Paris, Classiques Garnier, « Perspectives comparatistes », 2015, p. 119-132 pour cette citation et la suivante.

10 Amélie Nothomb, Riquet à la Houppe, Albin Michel, 2016, p. 165.

11 Id., p. 181.

12 Stendhal, Lucien Leuwen dans Romans et nouvelles, Texte établi et annoté par Henri Martineau, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », [1952] 1967, t. 1, p. 218.



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- Auteur : Elisabeth Rallo
- Titre : Riquet à la houppe, défaut et désir féminin
- Date de publication : 26-04-2023
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=322
- ISSN 2105-2816