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COLLOQUES


LE DÉFAUT : Études en hommage à Camille Dumoulié


The Golden Bowl de Henry James, ou le défaut de tragédie

Francesca Manzari


Aix Marseille Univ, CIELAM, Aix-en-Provence

 

Dans un ouvrage intitulé Don Juan ou l’héroïsme du désir, Camille Dumoulié écrit que « l’excessif, dans l’excès, naît du renversement incontrôlable des termes qu’il met en jeu : du positif et du négatif, du bien et du mal1 ». Le Oui nietzschéen à la vie est ainsi toujours confronté à la dimension inverse, le Non, la destruction, dans un mouvement qu’il serait possible d’appeler de cause à effet dans les deux sens, de la vie à la mort, mais également de la mort à la vie : « on peut aussi […] trouver dans le manque et le négatif l’origine de cette démesure, comme le fait Rousseau, pour qui l’excès est né d’un écart entre le besoin et sa satisfaction qui ne sera jamais comblé, et que la fureur du désir ne fera qu’accentuer2 ». Ou encore, et pour le dire avec Derrida lisant Nietzsche, la vie la mort à la fois, comme dans le début du premier chapitre de Ecce Homo : « La chance (Glück) de mon existence (Daseins), son unicité peut-être tient tout à sa fatalité : pour l’exprimer en forme d’énigme (Rätselform), je suis en tant que mon père déjà mort, en tant que ma mère je vis encore et deviens vieux, ou vieille3 ». Passage que Derrida nous invite à lire non seulement dans sa dimension autobiographique, mais également in Rätselform, symboliquement, comme une double origine qui est la clé de lecture pour la compréhension de l’existence de Nietzsche :

J’ai pour les signes de l’ascension et de la chute [littéralement du lever et du coucher, par exemple du soleil : für die Zeichen, pour les signes, von Aufgang und Niedergang, de ce qui monte et de ce qui tombe, vers le haut et vers le bas], j’ai pour ces signes un flair qu’aucun homme n’a jamais eu, je suis à cet égard le maître [l’enseignant : Lehrer] par excellence – je connais les deux, je suis les deux (ich kenne beides, ich bin beides)4.

Dans Ecce Homo Nietzsche raconte avoir répété la mort du père : « L’année même où sa vie déclina, la mienne en fit de même5 » alors que la mère survit à l’effondrement – rappelle Derrida – au point d’enterrer le fils, sur le modèle de la vierge enterrant le Christ, auquel Friedrich Nietzsche oppose la figure de Dionysos comme sosie. Cet être à la fois le mort et la vivante, le père et la mère, « ich bin der und der6 » serait le lieu à partir duquel interpréter un passage ultérieur de Ecce Homo dans lequel Nietzsche écrit : « Mes lecteurs savent peut-être à quel point j’ai considéré la dialectique comme symptôme de décadence (als Décadence-Symptom), par exemple dans le cas le plus célèbre [et “cas” ici c’est Fall, comme cas indiquant la chute, le casus, la décadence, im allerberühmtesten Fall: im Fall des Sokrates]7 ». Décadent est à la fois un adjectif que Nietzsche réclame pour soi et pour son contraire (« ich ein decadent bin, bin ich auch dessen Gegensatz »). Comme l’écrit Camille Dumoulié, « L’univers apollinien d’images, la séduction des belles formes, fut toujours pour Nietzsche une nécessité vitale, métaphysique, dans La Naissance de la tragédie, biologique, dans les textes postérieurs8 ». La beauté des Olympiens est un écran derrière lequel « gît une “profondeur terrifiante” »9, parce que le monde divin « des enfants éblouissants » est un théâtre qui existe pour recouvrir un réel insoutenable :

Le Grec connaissait et ressentait les terreurs et les atrocités de l’existence : et pour qu’en somme la vie lui fût possible, il fallait qu’il interposât, entre elle et lui, ces enfants éblouissants du rêve que sont les Olympiens. […] Toute la philosophie du dieu sylvestre, avec ses exemples mythiques, qui fit la perte des mélancoliques Étrusques, les Grecs, eux, par la grâce de ce monde artistique médiateur des Olympiens, n’ont cessé de la surmonter ou, en tout cas, de la voiler et de la dérober au regard10.

Ce monde artistique, dans ses formes les plus accomplies, conduit au « “naïf” en art » qui est le stade le plus abouti de la civilisation apollinienne et le plus difficile à toucher : « mais qu’il est rare qu’on atteigne au naïf, à cet engloutissement total dans la beauté de l’apparence11 ! »

Nous consacrerons cette brève étude à une représentation romanesque de ce que Nietzsche appelle l’échec du « naïf », et que Camille Dumoulié décrit comme une faute, celle de « l’oubli [du] réel que représentait Dionysos, […] que les dieux avaient justement pour fonction de cacher12 ». Le roman de Henry James, The Golden Bowl, paru en 1904 est ainsi décrit par l’auteur : « Le Père et la Fille, avec le mari de l’une et la femme de l’autre imbriqués dans une passion mutuelle, une intrigue13 ». L’idée de cette histoire commence très probablement avec une « vision » que James restitue dans ses Carnets après avoir lu, dans la Revue des Deux Mondes, un article sur la Vie américaine : « un homme, pas un Newman, plus absolument civilisé, une nature large, riche, complète, mais fortement typique, essentiellement un produit du terroir14 ». Cette vision deviendra le personnage d’Adam Verver, un millionnaire américain veuf, passionné d’art, collectionneur de trésors, avec pour projet la construction d’un musée à American City, lieu qui l’avait vu s’accomplir et auquel il souhaite rendre hommage en y ramenant toutes ses acquisitions d’œuvres d’art pour la joie des yeux de ses habitants. Il entretient avec sa fille une relation singulière, un attachement débridé et difficile à décrire sans recourir au tabou de l’inceste. À cet indicible, le mariage de Maggie Verver avec le prince Amerigo, descendant de l’illustre famille romaine des Vespucci, vient offrir un cadre respectable. L’arrivée du prince italien est une promesse d’harmonie aux contours plus clairement définis lorsque Mr Verver, sur la suggestion de Maggie elle-même, demande la main de Charlotte Stant. L’arrivée de Charlotte est ce que les Verver décrivent comme « un changement pour le mieux »15, la première étape vers la recherche d’une harmonie possible, mais pas encore entièrement atteinte.

Le roman est partagé en deux parties, la première restitue l’histoire telle qu’elle aurait pu être racontée par le prince, la seconde par la princesse. La vieille Europe est ainsi subtilement remplacée, dans le discours comme dans l’histoire, par le Nouveau Monde. Deux mouvements, l’un ascendant vers l’harmonie, l’accomplissement d’une parfaite symétrie entre deux couples formés de quatre personnes remarquables, l’autre racontant l’effort de la princesse pour empêcher la chute et le déclin des quatre. Le premier mouvement déploie tous les éléments d’une histoire tragique, le second ramène le lecteur à la forme du récit, celle d’un roman et non pas d’une tragédie. La prose du monde empêche une lecture tragique. C’est Maggie l’ingénue, l’anti-héroïne du désir, qui à la fin triomphe. Les forces dionysiaques qui habitent Charlotte et font d’elle un être de fuite sont écrasées dans le Nouveau Monde, cette Amérique désertée par les dieux. Entre les deux parties : un objet, un symbole, une coupe d’or fêlée à l’image de l’harmonie qui inclut le défaut et le rend invisible. Un Graal inutile, en amont de la quête, que l’on éloigne et qui donne à voir une recherche de la perfection dans sa nouvelle version américaine du Gilded Age, où la dorure recouvre et intègre les défauts au point même d’en être indissociable. Le pragmatisme américain, dans sa splendide cruauté, n’a que faire de la perfection métaphysique à laquelle tendent les héros tragiques. Il façonne le monde selon une volonté toute matérielle. Le roman devient ainsi métaphore de cette nouvelle manière d’être au monde, que William James décrivait ainsi : « La question vraiment vitale pour nous est : Que va devenir ce monde ? Qu’est-ce que la vie fera finalement d’elle-même ? Le centre de gravité de la philosophie doit par conséquent changer de lieu. La terre des choses, longtemps plongée dans l’ombre de l’éther supérieur, doit reprendre ses droits »16. Plus d’éther supérieur, plus de tragédie.

Autrement dit, tous les éléments sont réunis dans l’intrigue pour donner lieu à une tragédie classique sur fond d’adultère, mais le roman ne prend justement pas cette tournure en refusant la catastrophe comme telle. L’anagnorisis, la découverte par Maggie et par Mr Verver de la relation adultérine entre Charlotte et Amerigo ne bascule pas dans la rétribution par la Némésis classique. Au contraire les antihéros sont rémunérés de ne pas accomplir leur vengeance. Une lecture analogue se retrouve dans l’adaptation filmique du roman produite par Ismail Merchant et dirigée par James Ivory (2000), où le schéma classique de la tragédie est à deux reprises mis en abyme : dans l’introduction qui raconte un épisode de l’histoire tragique de la famille du prince Amerigo – un aïeul découvre son fils au lit avec son épouse et les fait tuer tous les deux par ses gardes – et dans une scène de fête, qui contient un spectacle de danse indienne racontant la découverte et le châtiment par un mari puissant de son épouse adultère et son amant, scène que Mr Blint (Robin Hart) compare à la pièce dans la pièce de Hamlet – « It’s like Hamlet » (01h 09’ 30’’) –, en se retournant avec Lady Castledean pour rire de l’embarras d’Amerigo. Ainsi, le film se déroule sous le signe de la scène initiale d’assassinat et de la référence à un adultère châtié. Ces mises en abyme dessinent la courbe classique que justement le roman ne décrira pas. Autrement dit, le ressort tacite du roman est précisément ce défaut d’intrigue tragique, la vaine attente d’une bascule catastrophique qui n’adviendra jamais. Alors que dans la tragédie classique le défaut, l’ἁμαρτία (hamartia) est une faute qui doit être réparée, la faille propre au roman est de mettre le programme tragique en défaut, en le privant de son automatisme de crime et châtiment.

Dans ce sens, The Golden Bowl peut être lu comme une représentation de la problématique pragmatiste. Le lecteur ne peut qu’induire que Mr Verver est conscient de la trahison dont se sont tachés son épouse et son beau-fils, mais qu’en choisissant de la taire il s’arroge et exerce le pouvoir de l’abolir. Au lieu de la subir, il décrit la situation autrement et cette redescription qu’il choisit d’en faire change la réalité. Dans un monde habité par les dieux, l’adultère doit être puni. Dans un monde déserté par les dieux, la vérité est façonnée par le dire. Ici Mr Verver pourrait être vu comme dans la position d’un dieu dont le verbe performatif a le pouvoir de changer les choses, un moderne hermès traduisant tout à sa guise. Un dieu américain, pourrait-on dire, qui ne connaît par la colère de l’homme d’honneur, mais qui pratique le pouvoir par l’argent. Tout entier dans le monde des choses, il réifie tout. Le maintien de Charlotte dans le rôle d’épouse dévouée est le prix qu’il paie pour le bonheur de sa fille. La coupe d’or qu’il serait possible d’identifier avec Charlotte est assurément fêlée, mais la fêlure est ce sur quoi le rêve de Maggie est à la fois construit et menacé de destruction.

Mr Verver incarne le romanesque qui s’impose en lieu et place de la fêlure du tragique. Comme le dit Maggie à Amerigo lors du premier dîner après l’officialisation des fiançailles : « ses rapports avec les choses auxquelles il tient, et je trouve cela très beau, sont absolument romanesques. Comme d’ailleurs toute sa vie ici ; je ne connais rien qui le soit davantage17 ». Ainsi Mr Verver est la dimension la plus accomplie du romanesque, le personnage qui empêche l’histoire de se précipiter vers un dénouement tragique, mais qui l’infléchit au contraire dans un sens qui permet à The Golden Bowl de se lire comme une version subtile du rêve américain.

Un rêve américain

Toujours à l’occasion du premier dîner après les fiançailles, Maggie révèle à Amerigo le rôle qu’il joue dans la réalisation du rêve de Mr Verver, la collection dont il veut doter le musée qu’il construit à American City :

En tout cas, vous êtes un élément de sa collection, expliqua-t-elle, un de ceux qu’on ne peut se procurer que de ce côté-ci de l’Océan. Vous êtes une rareté, un objet d’art, une pièce de grand prix. Sans être, il se peut, un exemplaire absolument unique, vous êtes si exceptionnel et si remarquable que les exemplaires analogues sont très rares. Vous appartenez à cette classe dont tout le passé est connu. Vous êtes ce qu’on appelle un morceau de musée18.

Amerigo est une nouvelle acquisition pour la collection de Mr Verver. Maggie souligne la rareté de sa valeur ajoutée et le dialogue se poursuit par un échange au sujet du prix de la transaction. L’acquisition du prince a coûté « beaucoup d’argent », bien que cela ne soit rien comparé à ce qu’il en coûterait de le perdre. Maggie dit « mieux aimer payer que de le perdre19 ». Amerigo est absolument indispensable à la réalisation de son rêve de bonheur qui est à son tour la crypte sacrée de la joie de Mr Verver, comme le démontre le développement de l’intrigue. Une joie dont le maintien n’est pas une affaire de tout repos, bien au contraire, mais un labor limae. Henry James présente Mr Verver et sa fille assis dans un jardin, assurés de la patience du principe – le prince, incarnation du principe de réification muséale des sujets – à l’égard de leur passion mutuelle, à l’écart de la société qui vient leur rendre visite dans la splendide demeure que Mr Verver loue :

La bonne conscience, l’idée que le monde était juste, vibrait en eux, et ils en percevaient la palpitation qui ne les quittait pas ; mais peut-être cherchaient-ils vaguement à quelles fins ils pourraient employer un bonheur si parfait. Ils l’avaient créé, soigné, affermi ; ils l’avaient abrité de dignité et couronné de certitude ; mais le moment présent ne marquait-il pas pour eux (ou du moins pour nous qui les observons à l’heure où s’ouvre leur destin) l’aube de la découverte qu’il ne suffit pas toujours de faire bien pour répondre à toutes les éventualités20 ?

Maggie perçoit un défaut dans la construction : son devoir être à la fois l’épouse du prince et une compagne pour son père, son être progressivement davantage avec le prince qu’avec son père entraîne un déséquilibre, une discorde dans la construction pourtant si soignée d’une vie belle et juste. Le bonheur si obstinément recherché par les Verver s’ouvre déjà sur un abîme de cruauté, celui de l’impossibilité pour Maggie d’être à la foiS dans la joie du mariage et dans celle de la relation si singulière entretenue depuis la plus tendre enfance avec le père. Si seulement il était possible d’appliquer aux Verver ce que Camille Dumoulié appelle « la formule de l’éthique de la cruauté », à savoir une dimension « Au-delà du bien et du mal »21, Maggie et son père accéderaient au rang de splendides personnages de tragédie. Cela serait possible si pour eux « “Au-delà” ne signifi[ait] pas “en deçà” », si pour eux « il n’[était] pas question […] de retrouver l’innocence perdue, sauf à la maintenir comme un mythe opérationnel et stratégique ». Pour être des héros tragiques, ils devraient s’engager « “au-delà” en suivant une voie où [ils sont] déjà engagés, cette voie justement dans laquelle la morale et la conscience s’arrêtent et qui n’est autre que la voie de la faute, à partir de laquelle les notions de “bien” et de “mal” prennent leur sens22 ». Ils en sont incapables. Auprès de Maggie, l’innocence pourrait ne jamais être perdue et au lieu de devenir un mythe opérationnel, un lieu à partir duquel se justifier d’entreprendre « les voies de la mauvaises conscience »23 – par ignorance ou naïveté par exemple – elle a pour fonction de s’opposer aux passions et de l’enfermer dans une existence malheureuse. En proie aux valeurs de son innocence, elle mène une existence en dehors des forces cruelles de la vie. Elle est incapable d’excès, souhaite s’en protéger et pour cela, elle suggère à son père non seulement de considérer l’éventualité de se marier, mais également d’endosser elle-même la faute de cette éventualité : « Je souhaite seulement que, si jamais quelqu’un te plaisait, tu ne doutes pas de mon sentiment de t’avoir moi-même poussé. Tu sauras toujours que c’est ma faute24 ». L’arrivée dans leurs vies d’un être aimé par Mr Verver est assurément une faute à imputer à Maggie, mais non pas « une défaite »25. La raison en est que Mr Verver doit être affecté d’un « manque » qui le rend « susceptible d’être tenté »26.

La princesse suggère la venue auprès d’eux de Charlotte, son amie d’enfance, un être intéressant, doué d’une imagination puissante27. Ce serait, pour employer les mots de Mr Verver, « un changement pour le mieux », expression que Maggie s’empresse de relever :

– Ah ! voilà, tu avoues ! – Et le sourire de la princesse exprima le triomphe de sa petite sagesse. – Si tu reconnais qu’un changement pour le mieux est possible, notre existence, après tout, n’est donc pas si extraordinairement parfaite. Je veux dire que nous, la famille, n’y goûtons pas des satisfactions ni des divertissements si prodigieux. Nous sentons qu’il y aurait moyen d’y mettre plus de grandeur28.

Charlotte vient ainsi consolider la fortune des Verver, ajouter de la plus-value au trésor déjà cumulé, le rendre plus grand, faire s’accomplir un rêve de splendeur. Les raisons en sont multiples : non seulement Charlotte est belle, cultivée, agréable, elle a su supporter avec dignité la pauvreté de sa vie, ce qui contribue à son « prestige naturel ». Elle a quelque chose qui – selon l’expression de James – « carries things off », emporte tout. Cela consiste très précisément en le fait qu’elle n’a rien accompli, que cela est visible, mais que « malgré cet échec, personne, à moins d’être scandaleusement prétentieux ou méchant, ne voudrait ou n’oserait la traiter sans égards »29. Superbe spécimen de la beauté mondaine, Charlotte est une belle chose, et à ce titre une nouvelle acquisition, parmi d’autres, pour le musée d’American City. La première scène dans laquelle elle apparaît dans le roman établit un lien paradigmatique entre elle et l’objet qui donne son titre au roman, The Golden Bowl.

Le défaut de la coupe

Le roman s’ouvre sur une promenade du prince dans Londres. Nonobstant le divertissement offert à tout moment par la capitale anglaise, pour laquelle il l’apprécie, presque à la hauteur de sa Rome natale dans ses périodes de plus haute splendeur, Amerigo est distrait par le vertige de l’accord conclu auprès des notaires de Londres par l’intermédiaire de son propre homme d’affaires avec Mr Verver. Les fiançailles sont désormais officielles et entraînent avec elles leur lot de responsabilités que les pensées du prince, restituées par le narrateur, identifient avec le poids de recevoir une « immense confiance »30. Grâce à cette confiance, Amerigo accède à la richesse la plus grande que sa famille n’ait jamais connue. Le narrateur, qui restitue la conscience du prince, classe cet événement du côté du destin, ce qui n’est pas sans annoncer un tragique déjà à l’œuvre : « Désormais le sort en était jeté ; il ne restait qu’à se pénétrer de l’irrévocable ; et notre héros le sentait, tandis qu’il errait au hasard31 ». Ce destin est aussi un signe de distinction propre à son illustre famille romaine :

Nul de ses ascendants, non pas même le pape infâme, n’avait ainsi baigné jusqu’au cou dans la richesse. Cette abondance témoignait en somme de l’impossibilité pour un homme de sa race d’échapper à l’histoire. N’était-ce pas de l’histoire, et de cette histoire propre à ses ancêtres, que d’être appelé avec certitude à jouir d’une fortune dont le bâtisseur de palais lui-même n’aurait pu rêver32 ?

L’histoire, sous les espèces de Mr Verver et de sa fille, appelle assurément le prince à jouir, mais cette jouissance, rendue possible par Maggie, par sa parfaite innocence et son « extraordinaire loyauté américaine », s’annonce d’emblée accessible seulement au prix de commettre une trahison. Une faute a en effet déjà été perpétrée et ce bien avant l’engagement du Prince auprès de Maggie. Amerigo n’aurait pu savoir que lorsqu’il entretenait, des années auparavant, une relation amoureuse avec Charlotte Stant, il se tachait déjà de ce qui, après-coup, apparaît comme une trahison. Non seulement Charlotte est l’amie d’enfance de Maggie, mais elle deviendra plus tard l’épouse de Mr Verver. La double trahison est ainsi déjà advenue au moment où l’histoire commence et nous nous promenons avec le prince dans Bond Street dans une après-midi de la saison touchant à son déclin. Charlotte et Amerigo l’ont commise sans connaître le destin tragique qui les attendrait. Ils sont innocents a priori, mais toujours déjà coupables et cette culpabilité les pousse à taire leur connaissance lorsque Charlotte se rend à Londres pour le mariage de sa meilleure amie avec son amant et que celui-ci doit la recevoir. Ils décident de ne pas raconter une histoire d’amour interrompue à cause des difficultés économiques dans lesquelles ils qu’ils connaissaient.

Charlotte et Amerigo ont tous les traits des héros tragiques. « La formule de l’éthique de la cruauté »33 peut aisément leur être appliquée dans la mesure où ils possèdent une disposition naturelle à entreprendre la voie de la faute. Le prince est en conscient lorsqu’il confie à son amie Mrs Assingham manquer d’un sens, « le sens moral » tel qu’il est entendu par les Anglais. Si quelque chose de moral habite en lui, c’est « quelque chose qui, dans [sa] pauvre chère vieille Rome arriérée, peut passer pour tel », un sens en ruine, comme « l’escalier de pierre en colimaçon, tombant en ruine […], dans quelque château du quattrocento [italien] »34. Ce sens endormi est dangereux parce que, comme les ruines des palais du quattrocento, il suscite l’admiration des étrangers, qu’il aveugle de sa beauté. Au contraire, le sens moral de Mr Verver est flamboyant, flambant neuf comme le monde duquel il arrive, un « ascenseur-éclair » fonctionnant à la vapeur35, il est à peine né et n’a pas encore été terni par la marche du temps.

Entre Charlotte et Amerigo, la provenance de part et d’autre de l’Atlantique ne joue pas pour les opposer. Leur affinité est introduite par l’image d’une aisance analogue et réciproque dans les langues anglaises et italiennes :

[Le prince] avait connu des étrangers – peu et des hommes surtout – qui parlaient agréablement sa langue natale, mais jamais personne, homme ou femme, qui montrât pour cette langue l’instinct surprenant de Charlotte. Il se souvenait qu’au début de leurs relations elle n’en avait rien laissé voir, comme si entre eux l’anglais, son anglais qui s’accordait si bien avec celui de Charlotte, devait être le seul moyen d’échange. Il s’était aperçu par hasard, en l’entendant parler devant lui avec un tiers, qu’il y en avait un autre tout aussi bon et que l’italien serait préférable à l’anglais, car il y trouverait l’amusement de guetter chez Charlotte l’erreur qui ne venait jamais36.

Le passage à l’idiome natal, possible dans les échanges avec Charlotte et non pas dans la vie avec Maggie, met le prince dans une agréable attente, celle de l’erreur, « the slips that never came », à entendre non seulement comme l’erreur, mais également comme la chute, ce qu’en allemand on nommerait Fall, d’un mot qui désigne également le cas, celui entre autres du casus belli qui en l’occurrence ne déclenche nulle tragédie, à la racine du cadere de la décadence – Dekadenz, Niedergang, Verfall. Par hypothèse, il n’est d’ailleurs pas impossible que le patronyme d’Adam Verver, qui en néerlandais désigne un teinturier ou un peintre, dont le métier est de changer la couleur des choses, par exemple en les renommant à l’instar de cet adamisme américain que le personnage n’incarne pas qu’un peu, ne soit pas non plus sans évoquer l’idée d’une décadence sans chute, une anti-décadence, par le redoublement très technologique du préfixe « ver » qui marque le contournement, le dépassement, le surpassement. Charlotte est l’altérité qui permet au prince de rêver d’un retour à ses origines culturelles, dans lesquelles la moralité a été effacée au profit de l’art et de la beauté, qui sont aussi des termes de comparaison employés lorsqu’il s’agit de décrire cette amie aux contours si rares, retrouvée après une longue séparation, dans le salon de Mrs Assingham : « il reconnut la beauté si particulière de ses mouvements et de sa ligne lorsqu’elle se montrait de dos, et le jeu parfait de toutes ses attaches, tel le jeu de quelque instrument merveilleusement fini, d’une œuvre achevée, faite pour être proposée à l’admiration et pour remporter le prix37 ». L’histoire de sa naissance à Florence de parents américains, « mais déjà d’une génération corrompue bien avant elle, démoralisée et polyglotte »38, rapproche sa nature de celle d’Amerigo, qui est persuadé « qu’un ancêtre purement italien […] marquait d’une influence ineffaçable son sang et son accent »39. Ainsi Charlotte attire aisément le prince à elle, par sa forme, « une longue et souple bourse de soie, bien remplie de pièces d’or, mais que vide, on avait passée à travers la bague qui la tenait fermée »40. De la soie, prête à recevoir de l’or, qui s’offre tout entière aux yeux du prince, lui rappelant qu’il existe quelque chose, en l’existence, qui dépasse la dimension de l’accomplissement social du mariage : « le rôle du personnage qu’elle assumait consistait à n’avoir aucun compte à rendre, ni [au prince] ni d’ailleurs à personne, de ses raisons et motifs, de ses faits et gestes. Elle était […] une charmante jeune fille qui avait sa vie à elle. Elle le prendrait de haut, de très, très, très haut41 ». Cette hauteur qu’elle se donne au début de l’histoire racontée par James est aussi ce qui fait d’elle un merveilleux être de fuite, un objet de désir. Charlotte est en possession de tous les traits qui lui permettraient de triompher de sa position. Elle n’a rien, mais ce rien est un tout puisque cela contribue à la difficulté de sa réduction à des signifiants : comment fait-elle pour survivre alors qu’elle n’a pas d’argent ? Comment parvient-elle à être reçue de maison en maison par des gens qui s’occupent d’elle ? Le mystère de sa survie dans un monde où l’argent fonde le lien social fait d’elle un être de fascination. Elle n’est que spéculation : sa valeur est incalculable parce qu’elle est inconnue. On la suppose grande à l’endroit du vide de sa réalité. En cela elle est comme la coupe d’or qu’elle souhaite offrir à Maggie en cadeau de mariage.

À la recherche de ce cadeau, Charlotte et Amerigo s’octroient une heure de solitude au cœur de Londres. Ils rentrent dans une boutique de Bloomsbury Street et examinent les objets qui s’y trouvent, échangeant des propos affectueux en italien sous les yeux d’« un commerçant modeste, mais intéressant », qui les observe en silence fixement42 jusqu’au moment où, en s’adressant à Charlotte, il rompt le silence en italien : « Disgraziatamente, signora principessa, dit-il tristement, vous avez vu trop de choses »43. Charlotte n’est pas facile à impressionner. Elle a vu trop de choses, elle a connu la splendeur des palais italiens et ne peut que se montrer sceptique face aux objets contenus dans le petit magasin, qu’elle examine avec l’assurance d’un expert. Mais au-delà de leur sens littéral, ces mots font écho aux paroles échangées par Mrs Assingham et son mari, au lendemain de l’arrivée de Charlotte à Londres. Ce qui distingue Charlotte de Maggie et qui la rend dangereuse pour son amie, c’est sa connaissance : « Elle connaît le prince. Et Maggie ne le connaît pas. Non, chère petite, dut avouer Mrs Assingham, elle ne le connaît pas44 ». 

Toutefois, Charlotte, dans l’assurance de sa condition, celle du savoir qu’on lui suppose, glisse dans l’erreur et l’émerveillement lorsque le commerçant de Bloomsbury Street sort d’une armoire de son magasin une boîte carrée contenant « un vase à boire plus grand qu’une coupe ordinaire, mais non de taille exorbitante, et fait, semblait-il, ou de vieil or fin ou d’une matière jadis richement dorée45 ». Un objet d’une singulière beauté, « un cristal parfait » recouvert d’une dorure « trop bien faite », arrivée là d’une époque lointaine, comme l’explique l’antiquaire : « faite je ne sais quand et je ne sais comment. Mais par un très habile artisan du temps jadis et par un admirable procédé d’autrefois. […] Un art perdu […] d’une époque perdue46 ». La coupe est restée longtemps sans être vendue, ce qui explique son prix, abordable mais pas assez pour Charlotte, ce qui la fait hésiter avant de l’acheter. Le marchand la met de côté pour elle, non sans avoir suscité un doute. Le cristal pourrait être fêlé, mais cela ne constitue pas en soi un problème pour la personne qui le recevra en cadeau :

[Charlotte :] - Évidemment, ce ne pourrait être qu’un cadeau.
[Marchand :] - C’en serait un bien joli.
[C. :] - Donne-t-on un cadeau dont on sait qu’il n’est pas parfait ?
[M. :] - Ma foi, si on le sait, on n’a qu’à l’indiquer. On reste toujours – l’homme souriait – de bonne foi47.

Mais Charlotte et Amerigo ne sont pas de bonne foi. Ils ne peuvent avouer le défaut du cadeau qu’ils offrent à Maggie : ce qu’ils lui offrent, c’est une illusion, un mensonge. Même si Charlotte ne revient pas chercher la coupe auprès de l’antiquaire, quelque chose du défaut de celle-ci demeure auprès de la jeune femme comme un attribut de sa personne. Elle ne retournera pas dans la boutique chercher la coupe que l’antiquaire a mise de côté, et son cadeau de mariage pour Maggie sera sa seule présence. Elle s’offrira à son amie comme un don, un don d’amitié présenté dans toute sa splendeur physique, son propre corps, sa propre vie, comme si elle avait été recouverte d’un vernis doré. Elle s’insinue ainsi dans la vie des Verver, vit avec eux, épouse Mr Verver et persiste dans une relation désormais adultérine avec le prince.

Charlotte Stant, une héroïne du désir

Il n’est pourtant pas si aisé d’attribuer à Charlotte et à Amerigo la traîtrise. Mariée à Mr Verver depuis deux ans, Charlotte explique à Mrs Assingham que son mari et sa belle-fille sont habités par un désir irréfrénable de rester seulS. Elle le comprend et « fixe » sa position en prenant la mesure de la puissance de ce sentiment :

Pour notre absence après notre mariage, pour la séparation surtout des longs mois que nous avons passés en Amérique, Maggie a des arriérés à combler ; elle veut rattraper ce qu’elle a perdu ; elle a encore besoin de montrer à son père combien, tout ce temps-là, il lui a manqué. Sa société lui a manqué dans toutes les circonstances, il lui en faut une bonne ration. […] Elle aime mieux le voir seule. Et c’est de cette façon qu’il aime mieux la voir. Voilà à quoi je fais allusion quand je dis que ma place est définitivement fixée. Et l’essentiel, dit-on, est de connaître sa place48.

Dans le discours de Charlotte, le manque de Maggie est à situer du côté du besoin du père. Ce vide à combler assigne à Charlotte une place en retour, une place fixée par le désir de l’autre. Amerigo se plie à une géométrie analogue, celle qui le fait se tenir à l’écart de la maison, pour que son épouse rencontre à loisir son père. Le quatuor ainsi décrit est chiasmatique, chacune des deux épouses souhaitant le mari de l’autre, le désir de l’une coïncidant avec le désir de l’autre à un tel point qu’il serait possible de dire que l’adultère est imputable aux quatre membres se déplaçant sur ce carré infernal dans toutes les directions, sans demeurer jamais au bon endroit. La seule différence observable dans la condition de ces personnages à l’endroit de la trahison est le degré de conscience et leur position vis-à-vis de la morale. En effet, dans le premier volume du roman, Maggie est affectée d’une inguérissable naïveté, d’une confiance aveugle en la bonté du monde. Maggie est irrémédiablement américaine. Lorsqu’elle essaie de décrire pour son père la position d’Amerigo, elle dit :

Amerigo s’en moque. Je veux dire qu’il ne s’occupe pas de ce que nous faisons. Il considère que c’est notre affaire de choisir notre point de vue. Fanny […] trouve Amerigo admirable. Admirable d’accepter les choses telles qu’elles sont, d’accepter notre étroitesse sociale, de se passer de ce que nous ne lui donnons pas49.

Elle ne sait pas, ne voit pas, ne perçoit pas le danger de se tenir à la limite entre le père et l’époux. Charlotte, à la différence de Maggie, connaît la faille dans le désir de sa belle-fille, dont les actions sont dictées par le désir du père, sur lequel elle étend, au nom d’une injonction morale, le vernis de son mariage avec le prince.

Le désir du père n’est toutefois pas un obstacle à l’amour de Maggie pour Amerigo : « Elle s’était donnée à son mari sans l’ombre d’une réserve et d’une condition et pourtant n’avait pas d’un pouce abandonné son père. […] Rien ne faisait de son mariage une réussite autant que d’avoir ainsi donné au plus âgé des deux, au plus solitaire, un nouvel ami50 ». Maggie et Charlotte se situent, à l’égard du prince, dans des postures éloignées, l’une mystique, l’autre donjuanesque, telles qu’elles ont été décrites par Denis de Rougemont et ainsi mises en perspective par Camille Dumoulié :

[…] Il serait une expression de l’Éros grec ou platonicien, qui vise la « jouissance » et l’union absolue, contrairement à l’Agapè qui vise le prochain et suppose la distance. L’un, qu’il définit comme « Désir total » cherchant un « dépassement infini » et sacrificiel dont le but est de « brûler » jusqu’à en mourir », aurait trouvé une nouvelle forme d’expression dans la mystique unitive. L’autre, au contraire, aurait son mode dernier dans la mystique mariale51.

Ainsi Maggie est à son endroit dans la mystique mariale et Charlotte jouit de brûler dans le désir, selon le mode de la mystique unitive. Elle est un personnage singulier dans la galerie infinie de ceux qui peuplent les romans de Henry James. Elle est directe, libre, assurée dans le désir, dont elle subit l’injonction de façon exemplaire. Pour le dire avec une expression bien connue de Pierre Alféri au sujet des personnages de James, elle ne tourne pas autour du pot52. Si quelque secret doit être gardé pour elle, c’est auprès des autres personnages avec lesquels elle occupe la scène romanesque et dont elle croit devoir se protéger, mais elle n’a pas de secret pour le lecteur. Si jamais une héroïne du désir existait dans la population fictionnelle d’Henry James, ce serait elle. Ce qu’elle dit à Mrs Assingham et au prince la rend limpide à nos yeux. Elle sait ce qui la tient. Du moment où elle formule clairement le besoin de passer une heure seule avec Amerigo avant le mariage aux dernières scènes du roman, Charlotte n’est jamais dans l’évitement. Le désir est le tout de sa trajectoire de vie : « la seule puissance de son désir la rend désirable, est séductrice53 ». Comme la coupe d’or qu’elle n’offre pas à Maggie, elle est un objet de désir au sens subjectif et objectif : un Graal, en somme – car même Maggie a désiré que Charlotte fasse pleinement partie de sa vie –, mais un Graal désirant, empli de désir toujours prêt à se renouveler, comme en témoigne l’élan jamais fléchissant de Charlotte pour Amerigo. Le moment où Mrs Assingham détruit la coupe d’or est un moment de mort pour Charlotte, de qui la coupe est le signifiant symbolique. Sa vie, son corps, tenus ensemble par le désir sont brisés comme la coupe au moment de son arrivée dans la maison de la princesse. Le destin de Charlotte fléchit immédiatement. Cela coïncide avec la prise de conscience de Maggie qui, désormais au courant du lien entre son époux et sa meilleure amie, n’est plus éblouie par la splendeur de celle-ci et voit désormais, à travers elle, les abîmes de son infidélité. Maggie devient jalouse de Charlotte, comme Floki est jaloux de Balder, dieu de la lumière et de la beauté, dans la mythologie germanique. La comparaison est d’autant plus pertinente que les louanges que Maggie chante pour Charlotte dans la première partie de La coupe d’or – « magnifique par sa nature, son caractère, son esprit. Magnifique dans sa vie54 » – ont la même teneur que la description de Balder dans L’Edda de Snorri : « Il est le meilleur, et tous le louent. Il est si beau et si brillant qu’il émet de la lumière […]. Il est le plus sage des Ases et le plus habile à parler et le plus clément55 », ce qui permettrait de dire l’estime des Verver pour Charlotte au début du roman. Ce qui nous induit à employer à son propos ces mots de James George Frazer au sujet de la vie de Balder, dans The Golden Bough :

[…] Quand on pense que la vie d’une personne est incarnée dans un objet particulier, à l’existence duquel sa propre existence est inséparablement liée, et dont la destruction implique la sienne, l’objet en question peut être considéré et décrit comme sa vie ou comme sa mort, comme c’est le cas dans les contes de fées. Par conséquent, si la mort d’un homme est dans un objet, il est tout à fait naturel qu’il soit tué s’il en est frappé56.

Le destin de la coupe coïncide avec celui de la jeune héroïne. Il n’en va pas de même pour Amerigo, qui ne connaît pas la même puissance désirante. Entre la douteuse possibilité de faire durer l’union absolue avec Charlotte, alors qu’ils n’en auraient pas matériellement les moyens, et la perspective rassurante de l’union maritale avec Maggie, il n’hésite nullement, laissant Charlotte courir à sa perte « dans un désir indestructible et infini qu’aucun objet et aucune jouissance ne peut arrêter57 ». Le risque est ainsi décrit par Camille Dumoulié : « un danger pour le sujet, le risque de se transformer en un abîme qui peut l’engloutir, de manière moins imagée, le désir de la psychose58 ». Alors que pour Amerigo, Maggie incarne « le mythe de l’éternel féminin » qui le sauve parce qu’il comprend « que la vérité de son désir n’était pas la jouissance, mais l’amour »59. Il s’en aperçoit au moment où Maggie découvre l’existence de la coupe d’or : elle qui s’aveuglait à la vérité voit à présent et sait. Cela lui provoque une telle douleur qu’elle préférerait avoir les yeux bandés60, mais soudain la présence d’Amerigo fait se départager en elle conviction et action :

Ce qui allait douer pour ainsi dire l’action de cette liberté responsable (sur l’heure même, cette perspective s’éclaira pour Maggie), c’était l’éventualité, enrichie de minute en minute, que dans toute cette histoire son mari éprouverait d’elle un besoin nouveau, un besoin qui en fait surgissait entre eux à l’instant même.

Ce besoin parut à Maggie si particulier qu’Amerigo n’en aurait jusqu’alors jamais senti de comparable et même qu’en cette circonstance, pour la première fois dans toute la suite de leurs relations, son besoin d’elle serait réel61.

Couverte de bijoux pour une soirée à l’ambassade, dans l’une de ses toilettes les plus « froufroutantes », Maggie apparaît à Amerigo se penchant de façon solennelle pour remettre ensemble sur la cheminée les morceaux de la coupe d’or brisée quelques instants auparavant par Fanny Assingham. Maggie souhaitait trouver un cadeau pour son père et découvre la coupe d’or qui avait été mise de côté pour elle la veille de son mariage. Le marchand, venu livrer le cadeau chez elle, reconnaît Charlotte et Amerigo dans les photos disposées dans la pièce. Ce sont les deux amants qui avaient presque acheté la coupe d’or pour une amie. Maggie pose précautionneusement sur la cheminée le cristal brisé à l’endroit de la fêlure : elle recompose la coupe et la soutient. C’est ainsi qu’elle tient dans ses mains les fils de la vie de Charlotte. Amerigo reconnaît immédiatement cette puissance et s’y asservit, reniant la passion qui le lie à son amante. Charlotte est ainsi brisée : coupée de l’objet de son amour, coupée des villes européennes loin desquelles elle a l’impression de mourir. Elle devra partir avec son époux pour American City et être la spectatrice du triomphe de celui-ci : la fondation du musée pour lequel il a cumulé un trésor en œuvres d’art. Ainsi prend-elle la place qui effraie Amerigo le soir de son dîner de fiançailles :

A. : – J’aime, dit-il en riant, la classe dans laquelle vous me rangez ! Je serai un de ces petits objets que vous déballez dans les hôtels ou au pire dans les maisons louées comme cette magnifique maison-ci, et que vous placez sous vos yeux avec les photographies de famille et les dernières revues. Mais c’est déjà quelque chose de n’être pas si grand que j’aie à être enterré.

M. : – Oh ! avait-elle répliqué, vous ne serez pas enterré, mon chéri, avant d’être mort. À moins que vous n’appeliez un enterrement le voyage à American City62.

Si Amerigo n’est pas suffisamment « grand » pour être enterré dans le musée d’American City, c’est que, dans la comparaison, Charlotte gagne en grandeur : elle fonctionne davantage comme un dispositif artistique. L’interprétation des formes de son existence implique un effort herméneutique assurément plus important que celui qui nous est demandé pour la vie d’Amerigo, qui, ne s’opposant pas à son destin, suit la trajectoire que le roman lui assigne d’emblée : acquérir de la richesse et s’y tenir. Charlotte au contraire ne demeure jamais à son endroit, son désir est une forme d’hybris, « faute et condition d’existence du héros tragique, par quoi il touche au sacré63 ». Pour le dire avec Camille Dumoulié, elle est une héroïne dionysiaque : un être fondamentalement ambigu, tout à la fois amie fidèle et traîtresse, « d’une étrangeté essentielle, d’une altérité constitutive », elle est, comme Dionysos, « joie et […] horreur, en un mot, […] la Vie64 ». Charlotte est saluée comme une salvatrice pour la joie qu’elle apporte à la vie des Verver et congédiée par les mêmes à cause du désordre qu’elle introduit dans leurs existences. C’est ainsi que Charlotte effectue le voyage à American City, comme si elle se rendait à son propre enterrement, conduite par son époux loin de son amour et des lieux de sa vie

Du tragique au prosaïque

Nonobstant la nature tragique du personnage de Charlotte, Henry James détourne la trajectoire de ses personnages. Le tragique de Charlotte est étouffé par le prosaïque de Mr Verver qui, confronté à l’épreuve de l’hybris de son épouse, ne connaît ni l’interdiction des hommes, ni la vexation des dieux65. Il décide, non sans mettre en valeur un trait saisissant de sa perversion66, de faire comme s’il ne s’était pas aperçu de l’infidélité de Charlotte et de la prendre avec soi dans un voyage de retour définitif en Amérique. Un plan si parfait que Maggie en est impressionnée : « Voilà quelle était l’idée de son père, si claire que Maggie en fut un instant comme éblouie. Dans cette lumière confuse, elle entrevit Charlotte comme un objet qui par contraste se détacherait en noir ; dans le champ de sa vision, elle l’aperçut chancelante, l’aperçut emmenée, transplantée, condamnée67 ». Ainsi Charlotte, être de clarté et de lumière, est-elle réduite à un « objet » dans le noir par Mr Verver. Sa réification est inéluctable. Sa condamnation par les Verver toutefois n’est pas digne de la portée tragique de son personnage. Charlotte est punie, mais sa punition n’est pas exemplaire. Celle-ci apparaîtrait presque tout son contraire aux yeux des hommes : Charlotte est emmenée triomphalement en Amérique. C’est par cette action que Mr Verver se révèle nouvellement à Maggie pour ce qu’il a toujours été à ses yeux :

L’homme couronné de succès et soucieux d’aider les autres, le grand citoyen généreux, magnifique, original, volontaire et courageux, le collectionneur expérimenté, la haute et indiscutable autorité du passé comme du présent, tous ces aspects divers la frappèrent soudain comme conférant à son père, de manière étonnante, un caractère dont elle devait tenir compte dans sa conduite envers lui, qu’elle obéit à l’émulation ou à la pitié68.

Mr Verver se montre serein, d’une sérénité qui lui vient de son pouvoir à modifier les événements pour les plier à son dessein. Sur son départ vers American City avec son épouse, Mr Verver construit une nouvelle version des faits autre que la version juste qui conduirait à l’apogée tragique tout bon Européen. Dans sa dimension self-made, Mr Verver incarne une vérité convenable qui étouffe le cri de souffrance de Charlotte dans un splendide sourire, celui qu’il faudra afficher lorsqu’elle débarquera sur le nouveau continent au bras de son mari millionnaire. Mr Verver est, dans la fiction de Henry James, un personnage équivalent de ce que William James pourrait décrire comme un constructeur de vérité :

Ainsi toute vérité est construite, stockée, et mise à disposition de tous. Par conséquent, nous devons parler avec cohérence tout comme nous devons penser avec cohérence, car en matière de paroles comme de pensée nous manions des catégories. Les noms sont arbitraires, mais une fois que nous les avons compris nous sommes obligés de nous y tenir ? Il ne faut plus appeler Abel ‘Caïn’ ni Caïn ‘Abel’ 69.

Ainsi Mr Verver empêche l’aboutissement du tragique. Son personnage a quelque chose de la « civilisation moderne » et de « l’homme théorique », tels qu’ils sont décrits par Nietzsche dans La Naissance de la tragédie : celui-ci « ne veut plus rien posséder dans sa totalité, parce que – tant les conceptions de l’optimisme l’ont rendu douillet ! – la totalité comprend la naturelle cruauté des choses70 ». Or Mr Verver ne saurait supporter une véritable union avec Charlotte, ne la désire nullement. En la rendant objet, il en fait un morceau de son musée qui ne sera jamais que la pâle représentation de la beauté de l’art occidental, une infime partie, à peine voyant le jour et déjà tombeau de l’idée qui l’a vu naître. Se rangeant du côté pragmatique du rapport au monde, Mr Verver empêche « [l’apparition] dans le monde des phénomènes [d’] une réalité qui double la vie et plus haute qu’elle »71. L’histoire des quatre personnages de La coupe d’or aurait pu être une tragédie, mais Henry James en fait une prose du monde, la restitution d’une dimension désormais désertée par les dieux dans laquelle il n’est plus possible, pour les sujets qui l’habitent, de cultiver « le principe supérieur de l’âme et de la société72 ». Il ne nous reste plus qu’à regretter que Mr Verver ne soit pas un sujet furieux et qu’il ne nous ait pas entraînés avec lui vers un « principe supérieur », qu’il ne nous ait pas montré le saut du tremplin qui projette « dans le débordement infini »73.

Bibliographie

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1 Camille Dumoulié, Don Juan ou l’héroïsme du désir, Paris, PUF, 1993, p. 23.

2 Ibidem.

3 La traduction est de Jacques Derrida. La vie la mort Séminaire (1975-1976), Pascale-Anne Brault et Peggy Kamuf éd., Paris, Seuil, 2019, p. 57-59.

4 Ibid., p. 58-59. Les commentaires entre parenthèses carrées sont de Derrida.

5 Ibid., p. 60.

6 Friedrich Wilhelm Nietzsche, Ecce homo. Wie Man wird was Man ist, Leipzig, Insel Verlag, 1908, p. 7.

7 Jacques Derrida. La vie la mort, op. cit., p. 60.

8 Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud pour une éthique de la cruauté, Paris, Puf, 1992, p. 34.

9 Ibid., p. 35.

10 Friedrich Wilhelm Nietzsche, La Naissance de la tragédie, tr. de P. Lacoue-Labarthe, dans Œuvres I, Paris, Gallimard, 2000, p. 26-27.

11 Ibid., p. 28.

12 Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud, op. cit., p. 35.

13 Henry James, Carnets, tr. de L. Servicen, Annick Duperray éd., Paris, Gallimard, 2016 [1954 pour la traduction aux Éditions Denoël], p. 418, entrée du 21 décembre 1995.

14 Ibid., p. 238, entrée du 22 mai 1892.

15 Henry James, La coupe d’or, tr. de M. Glotz, Paris, Robert Laffont, 2008 [1955 pour la première édition de la traduction], p. 158.

16 « The really vital question for us all is, What is this world going to be? What is life eventually to make of itself? The center of gravity of philosophy must therefore alter its place. The earth of things, long thrown into shadow by the glories of the upper ether, must resume its rights. » William James, Pragmatism, New York, Longmans, 1931, p. 122. Nous traduisons.

17 Ibid., p. 24. « His relation to the things he cares for – and I think it beautiful – is absolutely romantic. So is his whole life over here – it’s the most romantic thing I know ». The Golden Bowl, London, Penguin Books, 1985 [1904], p. 49.

18 Ibidem. « ‘You’re at any rate a part of his collection,’ she had explained - ‘one of the things that can only be got over here. You’re a rarity, an object of beauty, an object of price. You’re not perhaps absolutely unique, but you’re so curious and eminent that there are very few others like you – you belong to a class about which everything is known. You’re what they call a morceau de musée’ ». The Golden Bowl, op. cit., ibidem.

19 Ibid., p. 25. « ‘I’d pay rather than lose you’ ». The Golden Bowl, op. cit., ibidem.

20 Ibid., p. 148. « Their rightness, the justification on everything – something they so felt the pulse of – sat there with them; but they might have been asking themselves a little blankly to what further use they could put anything so perfect. They had created and nursed and established it; they had housed it here in dignity and crowned it with comfort; but mightn’t the moment possibly count for them – or count at least for us while we watch them with their fate all before them – as the down of the discovery that it doesn’t always meet all contingencies to be right? ». The Golden Bowl, op. cit., p. 158.

21 Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud, op. cit., p. 26.

22 Ibid., p. 26-27.

23 Ibidem.

24 Ibid., p. 153. Nous soulignons. « ‘But I only wish that if you ever should like anybody you may never doubt of my feeling how I’ve brought you to it. You’ll always know that I know it’s my fault’ ». The Golden Bowl, op. cit., p. 163.

25 Ibidem. « ‘It won’t be a collapse’ ». The Golden Bowl, op. cit., ibidem.

26 Ibid., p. 154. « ‘What does that show, after all’, she asked, ‘but that you do really, well within, feel a want? What does it show but that you’re truly susceptible?’ ». The Golden Bowl, op. cit., ibidem.

27 Ibid., p. 160.

28 Ibid., p. 158. « ‘Ah then – there you are!’ And the Princess showed in her smile her small triumphant wisdom. ‘If you acknowledge a possible difference for the better we’re not, after all, so tremendously right as we are. I mean we’re not – as a family – so intensely satisfied and amused. We do see there are ways of being grander’ ». The Golden Bowl, op. cit., p. 167.

29 Ibid., p. 161. « ‘And yet no one – no one not awfully presumptuous or offensive – would like, or would dare, to trat her, just as she is, as anything but quite right’ ». The Golden Bowl, op. cit., p. 170.

30 Ibid., p. 33.

31 Ibid., p. 18. « There was nothing to do as yet, further, but feel what one had done, and our personage felt it while he aimlessly wandered ». The Golden Bowl, op. cit., p. 44.

32 Ibid., p. 23.

33 Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud, op. cit., p. 26.

34 Henry James, La coupe d’or, op. cit., p. 39.

35 Ibid., p. 40.

36 Ibid., p. 58-59. « He had known strangers – a few, and mostly men – who spoke his own language agreeably; but he had known neither man nor woman who showed for it Charlotte’s almost mystifying instinct. He remembered how, from the first of their acquaintance, she had made no display of it, quite as if English, between them, his English so matching with hers, were their inevitable medium. He had perceived all by accident – by hearing her talk before him to somebody else – that they had an alternative as good; an alternative in fact as much better as the amusement for him was greater in watching her for the slips that never came ». The Golden Bowl, op. cit., p. 78.

37 Nous soulignons. Ibid., p. 52-53.

38 Ibid., p. 59. « […] Of a corrupt generation, demoralized falsified polyglot well before her […] ». The Golden Bowl, op. cit., ibidem.

39 Ibid., p. 59. « […] Some strictly civil ancestor – generations back […] made himself felt ineffaceably in her blood and in her tone ». The Golden Bowl, op. cit., ibidem.

40 Ibid., p. 53. « […] some long loose silk purse, well filled with gold-pieces, but having been passed empty through a finger-ring that held it together ». The Golden Bowl, op. cit., p. 73.

41 Ibid., p. 56. « The particular appearance she would, as they said, go in for was that of having no account whatever to give him - it would be in fact that of having none to give anybody - of reasons or of motives, of comings or of goings. She was […] a charming young woman with a life of her own. She would take it high - up, up, up, ever so high. ». The Golden Bowl, op. cit., p. 76.

42 Ibid., p. 99 et sq. « […] the small but interesting dealer in the Bloomsbury Street […] fixed on his visitors an extraordinary pair of eyes […] ». The Golden Bowl, op. cit. p. 113.

43 Ibid., p. 105. « ‘You’ve seen, disgraziatamente, signora principessa,’ he sadly said, ‘too much’— […] ». The Golden Bowl, op. cit. p. 118.

44 Ibid., p. 83. « ‘Through everything. She knows the Prince. And Maggie doesn’t. No, dear thing’ — Mrs Assingham had to recognise it — ‘she doesn’t’. » The Golden Bowl, op. cit. p. 98.

45 Ibid., p. 106. « […] a drinking- vessel larger than a common cup, yet not of exorbitant size, and formed, to appearance, either of old fine gold or of some material once richly gilt ». The Golden Bowl, op. cit. p. 118.

46 Ibid., p. 107-108. « ‘[…] put on I don’t know when and I don’t know how. But by some very fine old worker and by some beautiful old process. […] a lost art […] of a lost time’ ». The Golden Bowl, op. cit. p. 119.

47 Ibid., p. 109. « [Charlotte:] ‘Oh of course it would be only for a present!’ [Shopman:] ‘The it would be a lovely one.’ [Charlotte:] ‘Does one make a present,’ she asked, ’of an object that contains to one’s knowledge a flaw?’ [Shopman:] ‘Well, if one knows of it one has only to mention it. The good faith,’ the man smiled, ‘is always there’ ». The Golden Bowl, op. cit. p. 119-120.

48 Ibid., p. 219-220. « ‘With all our absence after marriage, and with the separation from her produced in particular by our so many months in America, Maggie has still arrears, still losses to make up — still the need of showing how, for so long, she simply kept missing him. She missed his company — a large allowance of which is, in spite of everything else, of the first necessity to her. […] She likes him best alone. And it’s the way,’ said our young woman, ‘in which he best likes her. It’s what I mean therefore by being “placed”. And the great thing is, as they say, to “know” one’s place’ ». The Golden Bowl, op. cit. p. 222.

49 Ibid., p. 155. « ‘Amerigo doesn’t mind. He doesn’t care, I mean, what we do. It’s for us, he considers, to see things exactly as we wish. Fanny […] thinks he’s magnificent. Magnificent, I mean, for taking everything as it is, for accepting the “social limitations” of our life, for not missing what we don’t give him’ ». The Golden Bowl, op. cit. p. 164.

50 Ibid., p. 338-339. « ‘She had surrendered herself to her husband without the shadow of a reserve or a condition and yet hadn’t all the while given up her father by the least little inch. […] nothing in her marriage had marked it as more happy than this fact of its having practically given the elder, the lonelier, a new friend’ ». The Golden Bowl, op. cit. p. 328.

51 Camille Dumoulié, Don Juan ou l’héroïsme du désir, op. cit., p. 45. Cf. Denis de Rougement, L’Amour et l’Occident, Paris, Plon, 1972, p. 43-48.

52 Cf. Pierre Alferi, « Un accent de vérité. James et Blanchot », dans remue.net, https://remue.net/Pierre-Alferi-James-et-Blanchot 20 juillet 2006.

53 Camille Dumoulié, Don Juan ou l’héroïsme du désir, op. cit., p. 30-31.

54 Henry James, La coupe d’or, op. cit, p. 159. « ‘Great in nature, in character, in spirit. Great in life.’ » The Golden Bowl, op. cit. p. 167.

55 L’Edda. Récits de mythologie nordique par Snorri Sturluson, tr. de F.-X. Dillmann, Paris, Gallimard, 1991, p. 54-55.

56 Nous traduisons. « […] When a person’s life is conceived as embodied in a particular object, with the existence of which his own existence is inseparably bound up, and the destruction of which involves his own, the object in question may be regarded and spoken of indifferently as his life or his death, as happens in the fairy tales. Hence if a man’s death is in an object, it is perfectly natural that he should be killed by a blow from it ». James George Frazer, The Golden Bough. A New Abridgement, New York, Oxford University Press Inc., 1994, p. 794. 

57 Camille Dumoulié, Don Juan ou l’héroïsme du désir, op. cit., p. 30.

58 Ibidem.

59 Ibid., p. 38.

60 Cf. Henry James, La coupe d’or, op. cit., p. 477-478. The Golden Bowl, op. cit. p. 451.

61 Ibid., p. 480-481. “What would condemn it, so to speak, to the responsibility of freedom — this glimmered on Maggie even now — was the possibility, richer with every lapsing moment, that her husband would have on the whole question a new need of her, a need which was in fact being born between them in these very seconds. It struck her truly as so new that he would have hitherto none to compare with it at all; would indeed absolutely by this circumstance be really needing her for the first time in their whole connexion”. The Golden Bowl, op. cit., p. 453.

62 Ibid., p. 26. « [Amerigo:] ‘I like the class,’ he had laughed for this, ‘in which you place me! I shall be one of the little pieces that you unpack at the hotels, or at the worst in the hired houses, like this wonderful one, and put out with the family photographs and the new magazines. But it’s something not to be so big that I have to be buried.’ [Maggie:] ‘Oh,’ she had returned, ‘you shall not be buried, my dear, till you’re dead. Unless indeed you call it burial to go to American City.’ » The Golden Bowl, op. cit., p. 50.

63 Camille Dumoulié, Don Juan ou l’héroïsme du désir, op. cit., p. 21.

64 Camille Dumoulié, Fureurs. De la fureur du sujet aux fureurs de l’histoire, Paris, Economica, 2012, p. 31.

65 Camille Dumoulié, Don Juan ou l’héroïsme du désir, op. cit., ibidem.

66 Cf. Ibid., p. 29.

67 Henry James, La coupe d’or, op. cit., p. 546. Nous soulignons. « There was his idea, the clearness of which for an instant almost dazzled her. It was a blur of light in the midst of which she saw Charlotte like some object marked by contrast in blackness, saw her waver in the field of vision, saw her removed, transported, doomed ». The Golden Bowl, op. cit. p. 512.

68 Ibid., p. 547. « The ‘successful’ beneficent person, the beautiful bountiful original dauntlessly wilful great citizen, the consummate collector and infallible high authority he had been and still was - these things struck her on the spot as making up for him in a wonderful way a character she must take into account in dealing with him either for pity or for envy ». The Golden Bowl, op. cit., p. 513.

69 « All truth thus gets verbally built out, stored up, and made available for every one. Hence, we must talk consistently just as we must think consistently: for both in talk and thought we deal with kinds. Names are arbitrary, but once understood they must be kept to. We mustn’t now call Abel ‘Cain’ or Cain ‘Abel’ ». William James, « Great Men and Their Environment », in The Will to Believe, New York, Longmans, Green, and co., 1896, (« “Great Men, Great Thoughts and the Environment.” Atlantic Monthly 46 (1880): 441-459. »), p. 214.

70 Friedrich Wilhelm Nietzsche, La Naissance de la tragédie, op. cit., p. 101-102.

71 Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud pour une éthique de la cruauté, op. cit., p. 46.

72 Ibidem.

73 Camille Dumoulié, Fureurs. De la fureur du sujet aux fureurs de l’histoire, op. cit., p. 5.



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- Auteur : Francesca Manzari
- Titre : The Golden Bowl de Henry James, ou le défaut de tragédie
- Date de publication : 29-04-2023
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=330
- ISSN 2105-2816