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COLLOQUES


LE DÉFAUT : Études en hommage à Camille Dumoulié


Le défaut de la langue. Saniette, celui qui ne savait pas parler.

Karen Haddad


Université Paris Nanterre (LIPO)

Des défauts, ce n’est pas ce qui manque dans la Recherche. Hormis la mère et la grand-mère, aucun personnage, Narrateur compris, n’en est exempt. Snobisme, jalousie, cruauté, envie, paresse… pour ce qui est des imperfections morales, on a l’embarras du choix. Quant aux tares physiques, petites ou grandes, elles sont partout : peaux grêlées, embonpoint ou maigreur excessive, verrues, mâchoires chevalines ou nez imposants… elles viennent souvent rappeler, chez Proust, les aberrations du désir et la relativité du regard. Si Odette, généralement considérée comme « une femme ravissante »1, a pour seul défaut physique de ne pas correspondre aux goûts sexuels de Swann, c’est bien pour un contrôleur de tramway « bourgeonné, laid, vulgaire, aux yeux rouges et myopes » que Charlus délaisse la « merveilleuse » princesse de Guermantes2.

La victime idéale

Au milieu de cette galerie de portraits peu reluisants, le personnage de Saniette a pour particularité de combiner un léger handicap physique et une qualité morale, une difficulté d’élocution qui révèle une incapacité à faire le mal :

Il avait dans la bouche, en parlant, une bouillie qui était adorable parce qu’on sentait qu’elle trahissait moins un défaut de la langue qu’une qualité de l’âme, comme un reste de l’innocence du premier âge qu’il n’avait jamais perdue. Toutes les consonnes qu’il ne pouvait prononcer figuraient comme autant de duretés dont il était incapable.3

« Bouillie » dans la bouche, « premier âge » : Saniette, vieil archiviste distingué, n’a pourtant rien d’un nourrisson, et nul ne songe, dans la Recherche, à s’attendrir sur son compte. Si on se souvient de lui dans la Recherche, c’est pour son statut de victime récurrente des Verdurin : cible constante de leurs moqueries, chassé de chez eux dans Un Amour de Swann, puis dans La Prisonnière en deux scènes d’un parallélisme remarquable4, il meurt des suites d’une attaque dans la cour de l’hôtel de ses bourreaux. Par l’une de ces résurrections célèbres qui marquent les parties inachevées de la Recherche, on le retrouve cependant quelques pages plus loin, non en personne, mais objet de discussion entre les Verdurin, ayant survécu à une attaque qui a cette fois pour cause sa ruine à la Bourse5. Toutes ses autres apparitions, même fugitives, soulignent sa vulnérabilité autant que sa fidélité aux Verdurin, chez lesquels il revient toujours, ceux-ci s’employant tour à tour à le martyriser et à le cajoler :

M. Verdurin fut heureux de constater que Saniette, malgré les rebuffades que celui-ci avait essuyées l’avant-veille, n’avait pas déserté le petit noyau. En effet, Mme Verdurin et son mari avaient contracté dans l’oisiveté des instincts cruels à qui les grandes circonstances, trop rares, ne suffisaient plus. On avait bien pu brouiller Odette avec Swann, Brichot avec sa maîtresse. On recommencerait avec d’autres, c’était entendu. Mais l’occasion ne s’en présentait pas tous les jours. Tandis que, grâce à sa sensibilité frémissante, à sa timidité craintive et vite affolée, Saniette leur offrait un souffre-douleur quotidien. Aussi, de peur qu’il lâchât, avait-on soin de l’inviter avec des paroles aimables et persuasives comme en ont au lycée les vétérans, au régiment les anciens pour un bleu qu’on veut amadouer afin de pouvoir s’en saisir, à seules fins alors de le chatouiller et de lui faire des brimades quand il ne pourra plus s’échapper.6

Proust emploie à plusieurs reprises le registre militaire (ou lycéen, ce qui, on le voit, est un peu similaire dans son cas) : M. Verdurin demande au maître d’hôtel « de mettre une carafe d’eau près de Saniette qui ne buvait pas autre chose », selon la règle qui veut que « les généraux qui font tuer le plus de soldats tiennent à ce qu’ils soient bien nourris »7, Saniette tremble devant ses bourreaux comme devant « un sergent recruteur », il est soulagé d’échapper aux « coups », à la « torture »… Avant même sa mort, Saniette est l’occasion de révéler la violence à l’œuvre dans le salon mondain, dont les membres se transforment en « foule », en meute s’acharnant sur sa victime :

« Mais vous nous aviez toujours caché que vous fréquentiez les matinées de l’Odéon, Saniette ? » Tremblant comme une recrue devant un sergent tourmenteur, Saniette répondit, en donnant à sa phrase les plus petites dimensions qu’il put afin qu’elle eût plus de chance d’échapper aux coups : « Une fois, à la Chercheuse.– Qu’est-ce qu’il dit ? hurla M. Verdurin, d’un air à la fois écœuré et furieux, en fronçant les sourcils comme s’il n’avait pas assez de toute son attention pour comprendre quelque chose d’inintelligible. « D’abord on ne comprend pas ce que vous dites, qu’est-ce que vous avez dans la bouche ? » demanda M. Verdurin de plus en plus violent, et faisant allusion au défaut de prononciation de Saniette. « Pauvre Saniette, je ne veux pas que vous le rendiez malheureux », dit Madame Verdurin sur un ton de fausse pitié et pour ne laisser un doute à personne sur l’intention insolente de son mari. » J’étais à la Ch…, Che…– Che, che, tâchez de parler clairement, dit M. Verdurin, je ne vous entends même pas. » Presque aucun des fidèles ne se retenait de s’esclaffer, et ils avaient l’air d’une bande d’anthropophages chez qui une blessure faite à un blanc a réveillé le goût du sang. Car l’instinct d’imitation et l’absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules. Et tout le monde rit de quelqu’un dont on voit se moquer, quitte à le vénérer dix ans plus tard dans un cercle où il est admiré. C’est de la même façon que le peuple chasse ou acclame les rois.8

René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque, pointait déjà ce statut de « souffre-douleur », né précisément de la fidélité de Saniette, révélant par là même le mensonge sur lequel est fondé le petit clan des Verdurin, leur désir pour les « médiateurs » que sont les Guermantes absents et haïs :

La haine du médiateur omnipotent l’emporte sur l’amour des fidèles. La place disproportionnée qu’occupent les manifestations de cette haine dans l’existence du salon constitue le seul mais irrécusable indice de la vérité métaphysique : les étrangers haïs sont les véritables dieux. […] L’unité agressive que le salon Verdurin présente au-dehors est une simple façade ; le salon n’a pour lui-même que mépris. C’est ce mépris que révèlent les persécutions dont est victime le malheureux Saniette. Ce personnage est le fidèle des fidèles, l’âme pure du salon Verdurin. Il joue, il devrait jouer si le salon était vraiment tout ce qu’il prétend être, un rôle un peu semblable à celui que joue à Combray la tante Léonie. Mais au lieu d’être honoré et respecté, Saniette est abreuvé d’insultes ; il est le souffre-douleur des Verdurin. Le salon ne sait pas qu’il se méprise lui-même en la personne de Saniette.9

Bien plus tard, René Girard revient sur cet extrait de Sodome et Gomorrhe dans un entretien, et commente en particulier la formule de Proust sur « l’instinct d’imitation » :

Je suis heureux que vous citiez cette phrase. Si vous regardez, il n’y a pas un mot dans cette phrase qui ne soit la définition de la thèse mimétique dans son ensemble. C’est là où l’on voit que le génie anthropologique de Proust est quelque chose de sublime. Je ne peux pas relire cette phrase sans enthousiasme en pensant que je n’ai rien inventé du tout. Voyez. Il suffit de faire l’exégèse de cette phrase d’un bout à l’autre de prendre tous les mots comme vous venez de le dire et tout apparaît mimétique et a été perçu par Proust, et c’est cela qui est admirable à partir d’un petit phénomène mondain insignifiant…10

L’auteur de La Violence et le sacré n’emploie pas, à propos de Saniette, le terme de « bouc émissaire », mais d’autres le feront après lui, tel Alberto Beretta Anguissola qui évoque le « véritable sacrifice d’un bouc émissaire, conforme à toutes les règles bien décrites par René Girard et, avant Girard, par plusieurs anthropologues », allant jusqu’à voir en lui une figure christique qu’il compare, dans la structure de la Recherche, à celle de Dreyfus :

Saniette est comme un saint. Je ne me rappelle plus si quelqu’un a déjà fait remarquer que le nom « Saniette » – un nom assez étrange– est une anagramme de « Sainteté ». C’est une sainteté qui le pousse à aimer ses persécuteurs.11

Alberto Beretta Anguissola rapproche également Saniette du héros de L’Idiot de Dostoïevski – personnage, on le sait, bien connu de Proust – qu’il assimile lui-même à une figure christique, « qui tend l’autre joue » à ses bourreaux. Ce rapprochement, cependant, semble peu convaincant : Saniette est loin d’avoir le charme du Prince Mychkine, lequel, malgré ses « défauts », et son « idiotie » apparente, attire à lui tous les êtres, et qui, même s’il partage avec lui la timidité et la crainte de s’exprimer en public, se montre souvent d’une éloquence décisive.

Souffre-douleur, bouc émissaire, voire figure christique, Saniette, l’homme à la parole difficile, serait donc la pure victime, prise dans un jeu sado-masochiste qui lui échappe ; rejoindrait-il ainsi les quelques rares personnages « innocents » de la Recherche ? Pourtant, Saniette, outre son problème d’élocution, n’est pas sans défauts, et le Narrateur dans Sodome et Gomorrhe, note même, à propos du personnage, revenu chez ces Verdurin qui l’ont chassé dans Un Amour de Swann, que ses « défauts s’étaient aggravés », le comparant à Cottard sur ce point, et, de façon étonnante, à l’avantage de ce dernier :

Ses défauts au point de vue de la vie mondaine, étaient autrefois – malgré des qualités supérieures – un peu du même genre que ceux de Cottard, timidité, désir de plaire, efforts infructueux pour y réussir. Mais si la vie […] avait creusé une véritable coupure entre le Cottard actuel et l’ancien, ces mêmes défauts s’étaient au contraire exagérés chez Saniette, au fur et à mesure qu’il cherchait à s’en corriger. Sentant qu’il ennuyait souvent, qu’on ne l’écoutait pas, au lieu de ralentir alors comme l’eût fait Cottard, de forcer l’admiration par l’air d’autorité, non seulement il tâchait par un ton badin de se faire pardonner le tour trop sérieux de sa conversation, mais pressait son débit, déblayait, usait d’abréviations pour paraître moins long, plus familier avec les choses dont il parlait, et parvenait seulement, en les rendant inintelligibles, à sembler interminables. 12

Ces défauts « du point de vue mondain », on le voit, sont identiques à ceux d’autres victimes, nombreuses dans la Recherche, et pas seulement des Verdurin, mais des Guermantes ou de Mme de Villeparisis, comme Bloch, comme Legrandin, comme tant d’autres (dont certains, comme le montre l’étude génétique, sont parfois interchangeables) : snobisme, peur de déplaire masquée par une assurance factice, bavardage fastidieux… Défauts largement partagés donc, mais qui empêchent Saniette d’être tout à fait un « saint ». Le Narrateur, au fil des volumes – Saniette est particulièrement présent dans Sodome et Gomorrhe et dans La Prisonnière, soit les deux volumes où les Verdurin sont les plus nocifs – lui octroie même cette forme particulière de lâcheté, qui est la sienne depuis toujours et dont il ne manquera pas de faire état au moment où se prépare l’exécution de Charlus :

Lâche comme je l’étais déjà dans mon enfance à Combray, quand je m’enfuyais pour ne pas voir offrir du cognac à mon grand-père, et les vains efforts de ma grand-mère le suppliant de ne pas boire, je n’avais plus qu’une pensée, partir de chez les Verdurin avant que l’exécution de Charlus eût lieu.13

Saniette, dans le train vers la Raspelière, s’enfuyait de la même façon peu glorieuse devant Cottard faisant chasser un paysan d’un compartiment de première classe – et dans le même lieu, puisque le Narrateur, lui, se réfugiait dans le « cabinet sentant l’iris » :

Cette scène peina le bon cœur et alarma à tel point la timidité de Saniette que dès qu’il la vit commencer, craignant déjà à cause de la quantité de paysans qui étaient sur le quai qu’elle ne prît les proportions d’une jacquerie, il feignit d’avoir mal au ventre et pour qu’on ne pût l’accuser d’avoir sa part de responsabilité dans la violence du docteur, il enfila le couloir en feignant de chercher ce que Cottard appelait les « waters ».14

On reviendra plus loin sur cette proximité avec le Narrateur, mais cette lâcheté (devant un danger évidemment disproportionné) semble donner raison aux Verdurin qui, comme il convient dans ce type de relations, reprochent à leur victime d’être trop consentante et de ne pas se rebeller contre leur pouvoir tyrannique. Ainsi Mme Verdurin se défend-elle des accusations du Narrateur :

« Comment, pas gentille ! Mais il nous adore, vous ne savez pas ce que nous sommes pour lui ! Mon mari est quelquefois un peu agacé de sa stupidité, et il faut avouer qu’il y a de quoi, mais dans ces moments-là, pourquoi ne se rebiffe-t-il pas davantage, au lieu de prendre ces airs de chien couchant ? »15

Encore ce « défaut », comme celui de sa langue, n’est-il au fond qu’une manifestation de sa qualité, cette trop grande bonté, ces « duretés » dont il est incapable, de même que le chien fidèle peut devenir un « chien couchant ». Pour enlever toute chance à Saniette d’être vraiment sympathique, le Narrateur ajoute enfin à ces traits l’indiscrétion, en un des rares passages réellement comiques où apparaisse le personnage, qui sans cela, provoque lors de ses visites « un spleen intolérable » :

D’autre part, comme on n’est jamais tout un, ce trop discret était maladivement indiscret. La seule fois où par hasard il vint me voir malgré moi, une lettre, je ne sais de qui, traînait sur la table. Au bout d’un instant, je vis qu’il n’écoutait que distraitement ce que je lui disais. La lettre, dont il ignorait complètement la provenance, le fascinait et je croyais à tout moment que ses prunelles émaillées allaient se détacher de leur orbite pour rejoindre la lettre quelconque mais que sa curiosité aimantait. On aurait dit un oiseau qui va se jeter fatalement sur un serpent. Finalement, il n’y put tenir, la changea de place d’abord comme pour mettre de l’ordre dans sa chambre. Cela ne lui suffisant plus, il la prit, la tourna, la retourna, comme machinalement.16

On l’a dit, Saniette apparaît essentiellement dans les volumes où sévissent le plus les Verdurin. On peut supposer que, d’abord silhouette de souffre-douleur à peine esquissée dans Un Amour de Swann, il se soit enrichi au fil des additions pour devenir une figure plus complexe. Au-delà de ce rôle de victime parfaite, apparaît alors la particularité de Saniette : il meurt non des défauts qu’il partage avec d’autres, mais de son défaut à lui, bien particulier.

Un usage défectueux du langage

En quoi Saniette meurt-il de son défaut ? Selon un glissement métonymique proche du calembour qui n’est pas rare chez Proust, on passe en effet du défaut de la langue qu’a Saniette quand il parle, au défaut de la langue qu’il parle, excessivement précieuse ou archaïque, souvent inintelligible, toujours mal à propos en tout cas. Symétriquement, c’est par les mots des autres qu’il est blessé, voire torturé. Lors de l’épisode d’Un Amour de Swan, c’est un « mot maladroit » dont on ne saura rien de plus qui provoque la colère feinte ou simulée de son parent, Forcheville, et les invectives grossières qui ont pour effet de le faire « balbutier », rappel de son défaut enfantin :

Soit que Forcheville sentant que Saniette, son beau-frère, n’était pas en faveur chez eux, eût voulu le prendre comme tête de Turc et briller devant eux à ses dépens, soit qu’il eût été irrité par un mot maladroit que celui-ci venait de lui dire, et qui, d’ailleurs, passa inaperçu pour les assistants qui ne savaient pas quelle allusion désobligeante il pouvait renfermer, bien contre le gré de celui qui le prononçait sans malice aucune, soit enfin qu’il cherchât depuis quelque temps une occasion de faire sortir de la maison quelqu’un qui le connaissait trop bien et qu’il savait trop délicat pour qu’il ne se sentît pas gêné à certains moments rien que de sa présence, Forcheville répondit à ce propos maladroit de Saniette avec une telle grossièreté, se mettant à l’insulter, s’enhardissant, au fur et à mesure qu’il vociférait, de l’effroi, de la douleur, des supplications de l’autre, que le malheureux, après avoir demandé à Mme Verdurin s’il devait rester, et n’ayant pas reçu de réponse, s’était retiré en balbutiant, les larmes aux yeux.17

Auparavant, c’était aussi pour son mauvais usage du langage que Saniette s’était fait remarquer de Swann – cherchant à briller, il invente de toutes pièces une anecdote qui le rend encore plus pathétique :

Saniette qui, depuis qu’il avait rendu précipitamment au maître d’hôtel son assiette encore pleine, s’était replongé dans un silence méditatif, en sortit enfin pour raconter en riant l’histoire d’un dîner qu’il avait fait avec le duc de La Trémoïlle et d’où il résultait que celui-ci ne savait pas que George Sand était le pseudonyme d’une femme. Swann, qui avait de la sympathie pour Saniette, crut devoir lui donner sur la culture du duc des détails montrant qu’une telle ignorance de la part de celui-ci était matériellement impossible ; mais tout d’un coup il s’arrêta, il venait de comprendre que Saniette n’avait pas besoin de ces preuves et savait que l’histoire était fausse pour la raison qu’il venait de l’inventer il y avait un moment. Cet excellent homme souffrait d’être trouvé si ennuyeux par les Verdurin ; et ayant conscience d’avoir été plus terne encore à ce dîner que d’habitude, il n’avait pas voulu le laisser finir sans avoir réussi à amuser. Il capitula si vite, eut l’air si malheureux de voir manqué l’effet sur lequel il avait compté et répondit d’un ton si lâche à Swann pour que celui-ci ne s’acharnât pas à une réfutation désormais inutile : « C’est bon, c’est bon ; en tous cas, même si je me trompe, ce n’est pas un crime, je pense » que Swann aurait voulu pouvoir dire que l’histoire était vraie et délicieuse.18

Saniette, d’ailleurs, n’a pas de chances avec les anecdotes et les mots d’esprit, car même lorsqu’il en dit ou en invente, ils deviennent insipides dits de sa bouche défectueuse :

Malheureusement pour Saniette, quand ces « à-peu-près » n’étaient pas de lui et d’habitude inconnus au petit noyau, il les débitait si timidement que malgré le rire dont il les faisait suivre pour signaler leur caractère humoristique, personne ne les comprenait. Et si au contraire le mot était de lui, comme il l’avait généralement trouvé en causant avec un des fidèles, celui-ci l’avait répété en se l’appropriant, le mot était alors connu, mais non comme étant de Saniette. Aussi quand il glissait l’un de ceux-là, on le reconnaissait, mais parce qu’il en était l’auteur, on l’accusait de plagiat.19

Mais les scènes qui vont provoquer la disgrâce définitive et la mort de Saniette sont bien celles qui combinent le défaut de l’organe et son usage défectueux. Certes, dans la scène de Sodome et Gomorrhe déjà citée, c’est le défaut de prononciation qui semble, au départ, responsable des attaques de M. Verdurin – « Ce n’est pas de la mienne non plus, on ne dîne pas en ville quand on ne peut plus articuler », répond-il à Mme Verdurin qui feint de lui rappeler que Saniette n’est pas responsable de son handicap20. Dans son acharnement, M. Verdurin imite même le bafouillement de sa victime : « « Ch, che, tâchez de parler clairement »21 Mais c’est ensuite la façon allusive et détournée dont s’exprime le malheureux Saniette qui excite les coups de son bourreau, avec d’autant plus de mauvaise foi que c’est le langage même des Verdurin que, dans ce passage tout au moins, il essaie d’imiter, cherchant à parler comme eux pour être comme eux, voire en être :

Quoi ? c’est La Chercheuse d’esprit que vous appelez La Chercheuse ? Ah ! c’est magnifique, j’aurais pu chercher cent ans sans trouver », s’écria M. Verdurin qui pourtant aurait jugé du premier coup que quelqu’un n’était pas lettré, artiste, « n’en était pas », s’il l’avait entendu dire le titre complet de certaines œuvres.22

Quand, interrogé un peu plus loin sur l’interprète de cette pièce, Saniette répond « la Zerbine », il se fait traiter de « pédant », mais aussi de « toqué ». Non seulement Saniette ne sait pas prononcer, mais il parle de façon anormale, dans une langue qui justifierait de le faire « emmener » ou « enfermer » (deux mots que Verdurin emploiera à son égard).

Dans La Prisonnière, enfin, la scène est beaucoup plus développée et fait l’objet de préparations plus longues, Saniette, depuis le début de la soirée, étant à chaque fois repris sur sa façon de parler, de nouveau désignée comme pathologique, en une série de répliques qui seraient comiques si elles n’avaient cet aboutissement dramatique. Pour Charlus – future victime de la soirée – qui s’inquiète du « singulièrement » employé à propos de Morel – Brichot (autre future victime, plus tard) est ainsi obligé de traduire le langage de Saniette :

Notre ami Saniette, se hâta d’expliquer Brichot qui joua le rôle d’interprète, parle volontiers, en excellent lettré qu’il est, le langage d’un temps où « singulièrement » équivaut à notre « tout particulièrement »23

« Il devenait avec les formes anciennes du langage d’une exaspérante familiarité », avait déjà noté le Narrateur dans ce même passage, familiarité qui l’empêche de voir que la tournure ancienne est désormais une « faute » au regard du langage courant. La « folie » de Saniette consisterait-elle à ne plus distinguer les formes correctes du langage ? Avant même que la soirée ne commence, Verdurin l’avait ainsi traité de « gâteux », pour un autre usage archaïque en se demandant s’il fallait « lui rapprendre le français comme aux gens qui ont eu une attaque »24 -- anticipant, de façon presque performative, sur celle qu’il va causer un peu plus tard.

Mais c’est surtout, bien sûr, lors de cet échange avec M. Verdurin après le concert – ajout tardif dans le manuscrit, rappelons-le – que Saniette apparaît littéralement coupable de sa façon de parler, « s’enfonçant » un peu plus à chacun de ses mots, systématiquement relevé parce qu’il ne veut rien dire :

Je crains seulement, répondit celui-ci en bégayant, que la virtuosité même de Morel n’offusque un peu le sentiment général de l’œuvre. – Offusquer, qu’est-ce que vous voulez dire ? » hurla M. Verdurin tandis que des invités s’empressaient, prêts, comme des lions, à dévorer l’homme terrassé. « Oh ! je ne vise pas à lui seulement… – Mais il ne sait plus ce qu’il dit. Viser à quoi ? – Il… faudrait… que… j’entende… encore une fois pour porter un jugement à la rigueur. – À la rigueur ! Il est fou ! » dit M. Verdurin se prenant la tête dans les mains. « On devrait l’emmener. – Cela veut dire : avec exactitude, vous… dites bbbien… avec une exactitude rigoureuse. Je dis que je ne peux pas juger à la rigueur. – Et moi, je vous dis de vous en aller », cria M. Verdurin grisé par sa propre colère, en lui montrant la porte du doigt, l’œil flambant. « Je ne permets pas qu’on parle ainsi chez moi ! » Saniette s’en alla en décrivant des cercles comme un homme ivre.25

Saniette meurt ainsi d’avoir mal parlé, voire d’avoir parlé tout court. Les seuls moments où on le voit ainsi « souffler » sont ceux où il goûte un « silence méditatif », « un silence heureux » qu’on ne le laisse pourtant goûter qu’après l’avoir soumis à un interrogatoire incessant.

Sensibilité excessive, usage personnel de la langue qui le voue à l’incompréhension générale, voire accusation de folie : il est alors aisé de voir en Saniette un de ces nombreux (et parfois plus prestigieux) avatars du Narrateur, incarnations partielles de son futur rôle de créateur, dont Swann et Charlus, mais également Legrandin, Bloch… sont les figures principales, chacun à sa façon. Voire de l’auteur, dont les débuts dans le monde, on le sait, sont loin d’avoir été aussi brillants que ceux du Narrateur. Pour François Bon, il faut ainsi

prendre au sérieux que le rôle de victime soit attribué à Saniette pour ce qui le définit tout d’abord, et le plus constamment, le narrateur – cette « sensibilité maladive », qui avait d’ailleurs fait de Marcel Proust, dans ses années de lycée, le même souffre-douleur pour les copains de classe.26

Au-delà du modèle biographique du futur écrivain voué aux « bouts de table », Saniette peut apparaître comme une figure de l’artiste, celui qui meurt spécifiquement de son usage du langage, incompris et torturé (et qui se fait même accuser de « plagiat » comme on l’a vu plus haut, lorsqu’il se fait voler ses inventions). Certes, il s’agit d’une figure imparfaite, pleine d’auto-dérision, une fausse piste comme il y en a tant dans la Recherche. Car l’usage que fait Saniette du langage est en effet fautif, mais pas au sens où l’entendent les Verdurin : il n’est en aucun cas un modèle, puisque, Proust le répète, dans son œuvre critique comme dans la Recherche, l’écrivain doit se faire sa langue, en « l’attaquant », et non reprendre, comme le fait Saniette, les formes archaïques qu’il croit plus élégantes et qui sont mortes27.

Le défaut qui détruit les défauts

Cependant, à la différence de ces personnages-reflets qui viennent d’être cités, Saniette, et on finira sur ce point, possède une autre particularité : son défaut fait office de révélateur, faisant apparaître ceux des autres, bien sûr, mais surtout, remettant en question la notion même de défaut. Les coups qu’il reçoit annoncent ainsi ceux qui vont en frapper d’autres, jusqu’ici épargnés, en un terrible avertissement. Dans Un Amour de Swann, c’est un autre visage encore inconnu d’Odette qui se découvre à Swann horrifié :

Odette avait assisté impassible à cette scène, mais quand la porte se fut refermée sur Saniette, faisant descendre en quelque sorte de plusieurs crans l’expression habituelle de son visage, pour pouvoir se trouver dans la bassesse, de plain-pied avec Forcheville, elle avait brillanté ses prunelles d’un sourire sournois de félicitations pour l’audace qu’il avait eue, d’ironie pour celui qui en avait été victime ; elle lui avait jeté un regard de complicité dans le mal, qui voulait si bien dire : « voilà une exécution, ou je ne m’y connais pas. Avez-vous vu son air penaud ? il en pleurait », que Forcheville, quand ses yeux rencontrèrent ce regard, dégrisé soudain de la colère ou de la simulation de colère dont il était encore chaud, sourit et répondit : « Il n’avait qu’à être aimable, il serait encore ici, une bonne correction peut être utile à tout âge ».28

Certes, cette révélation est passagère, et il s’écoulera encore un certain temps avant la disgrâce de Swann, mais celle-ci est ainsi préfigurée par celle de Saniette (que Swann n’a rien fait pour empêcher, malgré la compassion qu’il éprouve pour lui)29. Quant à la scène de La Prisonnière, elle prend place pendant la grande réception chez les Verdurin qui va mener à la chute de Charlus. Si Saniette meurt, Charlus, lui, tombe malade et frôle de peu la mort. L’expulsion de Saniette prépare, là encore sur le mode mineur, celle de Charlus, et révèle jusqu’à quelle extrémité – mortelle – peut aller la cruauté des Verdurin – dont à ce stade, on a eu assez d’exemples, mais dont les conséquences n’avaient jamais été aussi graves.

Mais justement, on n’en a pas fini avec Saniette – littéralement. On l’a dit, il partage en effet avec Swann, Cottard et quelques autres le privilège de ressusciter dans un autre passage de La Prisonnière, en une sorte de post-scriptum à l’expulsion et à la maladie de Charlus : les Verdurin, après le départ des invités, discutent du sort de Saniette, qui était donc, dans cette version, absent de la soirée et décident de lui constituer une rente, en s’arrangeant, de surcroît, pour lui laisser croire qu’il s’agit d’un legs de la Princesse Sherbatoff ! et la rente en question n’est pas non plus anodine, puisqu’ils envisagent, pour l’assurer, de renoncer à louer la Raspelière qui faisait leur orgueil… L’inachèvement de la Recherche nous prive sans doute d’une série d’autres retournements, et on en est réduit à imaginer quelles auraient été les conséquences de cet acte généreux. On sait seulement qu’il n’est pas resté à l’état de projet, puisque, au moment de l’enterrement de Saniette, le Narrateur en apprend l’existence par Cottard, mis dans le secret.

Saniette permet donc aux Verdurin de dévoiler à leur tour un autre visage, et de corriger leurs terribles « défauts », eux-mêmes revers de leurs qualités. Ils ne sont pas « tels » qu’ils paraissaient, à l’image de ces personnages de Dostoïevski qu’évoque le Narrateur à peine quelques pages plus loin en discutant avec Albertine :

C’est ainsi que Dostoïevski présente ses personnages. Leurs actions nous apparaissent aussi trompeuses que ces effets d’Elstir où la mer a l’air d’être dans le ciel. Nous sommes tout étonnés après d’apprendre que cet homme sournois est au fond excellent, ou le contraire.30

On sait que pendant la rédaction de La Prisonnière, mais surtout en 1921-22, au moment où se préparait sa publication, Proust a lu et relu le romancier russe (et encore écrit sur lui presque à la veille de sa propre mort)31. Il est donc possible que cette proximité même ne soit pas un hasard, tant le revirement des Verdurin – autre addition manuscrite, il faut le rappeler – ressemble en effet à ceux d’autres personnages « sournois » ou cruels chez Dostoïevski, comme par exemple le terrible Svidrigaïlov de Crime et Châtiment, devenu le bienfaiteur de la famille Marmeladov, et d’autres encore. Le Narrateur, en tout cas, en tire les conséquences qui s’imposent, et développe une véritable théorie du personnage mouvant, et en fin de compte inexistant :

Je regrettai de ne l’avoir pas su plus tôt. D’abord cela m’eût acheminé plus rapidement à l’idée qu’il ne faut jamais en vouloir aux hommes, jamais les juger d’après tel souvenir d’une méchanceté car nous ne savons pas tout ce qu’à d’autres moments leur âme a pu vouloir sincèrement et réaliser de bon ; sans doute, la forme mauvaise qu’on a constatée une fois pour toutes reviendra, mais l’âme est bien plus riche que cela, a bien d’autres formes qui reviendront, elles aussi, chez ces hommes, et dont nous refusons la douceur à cause du mauvais procédé qu’ils ont eu. Ensuite, à un point de vue plus personnel, cette révélation de Cottard n’eût pas été sans effet sur moi, parce qu’en changeant mon opinion des Verdurin, cette révélation, s’il me l’eût faite plus tôt, eût dissipé les soupçons que j’avais sur le rôle que les Verdurin pouvaient jouer entre Albertine et moi, les eût dissipés, peut-être à tort du reste, car si M. Verdurin – que je croyais de plus en plus le plus méchant des hommes – avait des vertus, il n’en était pas moins taquin jusqu’à la plus féroce persécution et jaloux de domination dans le petit clan jusqu’à ne pas reculer devant les pires mensonges, devant la fomentation des haines les plus injustifiées, pour rompre entre les fidèles les liens qui n’avaient pas pour but exclusif le renforcement du petit groupe. C’était un homme capable de désintéressement, de générosités sans ostentation, cela ne veut pas dire forcément un homme sensible, ni un homme sympathique, ni scrupuleux, ni véridique, ni toujours bon. […] Néanmoins, au moment de ma découverte, la nature de M. Verdurin me présenta une face nouvelle insoupçonnée ; et je conclus à la difficulté de présenter une image fixe aussi bien d’un caractère que des sociétés et des passions. Car il ne change pas moins qu’elles et si on veut clicher ce qu’il a de relativement immuable, on le voit présenter successivement des aspects différents (impliquant qu’il ne sait pas garder l’immobilité, mais bouge) à l’objectif déconcerté.32

Ainsi les Verdurin – ou plutôt Saniette, et l’usage qu’ils en font, pourrait-on dire – offrent-ils déjà une forme de réponse aux questions qui vont hanter le Narrateur, dans La Prisonnière et surtout dans Albertine disparue :

Il faut se rappeler que les questions que je me posais à l’égard d’Albertine n’étaient pas des questions accessoires, indifférentes […]. Non, pour Albertine c’était une question d’essence : en son fond, qu’était-elle, à quoi pensait-elle, qu’aimait-elle, me mentait-elle […] ?33

Si, avec le cycle d’Albertine, c’est l’un des passages de la Recherche qui fait apparaître le plus clairement la labilité des personnages, pour autant, il ne s’agit nullement d’une conversion des Verdurin, et il n’y a pas plus de « fond » des Verdurin qu’il n’y en a d’Albertine. Peut-être étaient-ils déjà, comme l’affirmait Mme Verdurin, et avant même le revirement final, les bienfaiteurs de Saniette ?

« Ça n’empêche que je tâche toujours de calmer mon mari parce que s’il allait trop loin, Saniette n’aurait qu’à ne pas revenir ; et cela je ne le voudrais pas parce que je vous dirai qu’il n’a plus un sou, il a besoin de ces dîners »,

expliquait-elle ainsi au Narrateur pour excuser leur apparente méchanceté34. Mais peut-être ce trait de bonté aurait-il été suivi d’un nouvel acte de cruauté ? Il ne les empêche nullement, en tout cas, de se trouver un nouveau souffre-douleur : Brichot, qu’« on » avait déjà brouillé avec sa maîtresse, prendra dans Le Temps retrouvé la place de Saniette « définitivement » mort35.

Quant à Saniette lui-même, on peut supposer que Proust, comme à son habitude, n’aurait pas résisté au plaisir de transformer son personnage – on a vu qu’il commençait déjà, dans Sodome et Gomorrhe, à lui attribuer lâcheté et indiscrétion. Du point de vue de Mme Verdurin, n’est-ce pas Saniette qui « tue » M. Verdurin par sa bêtise et qui, par son « égoïsme », met à l’épreuve « l’ange » qu’est son mari ? Ainsi s’inquiète-t-elle en le voyant partir « comme un homme qui étouffe de rage et a besoin de prendre l’air » :

« C’est encore Saniette qui t’a agacé ? Mais puisque tu sais qu’il est idiot, prends-en ton parti, ne te mets pas dans des états comme cela… Je n’aime pas cela, me dit-elle, parce que c’est mauvais pour lui, cela le congestionne. Mais aussi je dois dire qu’il faut parfois une patience d’ange pour supporter Saniette et surtout se rappeler que c’est une charité de le recueillir. […] Mais mon mari, sous ses apparences rudes, est très sensible, très bon, et cette espèce d’égoïsme de Saniette, toujours préoccupé de l’effet qu’il va faire, le met hors de lui…Voyons, on petit, calme-toi, tu sais bien que Cottard t’a dit que c’était mauvais pour ton foie. Et c’est sur moi que tout va retomber, dit Mme Verdurin. Demain Saniette va venir avoir sa petite crise de nerfs et de larmes. Pauvre homme ! il est très malade. Mais enfin ce n’est pas une raison pour qu’il tue les autres.36

À l’instar de l’adorable Saint-Loup surpris en train de prononcer des « paroles machiavéliques et cruelles » qui donnent l’impression qu’il « [récite] un rôle de Satan »37, Saniette aurait peut-être, lui aussi, fini par dévoiler sa face sombre, qui sait ? par vraiment tuer les Verdurin au lieu d’être tué par eux ? Ou encore aurait-il laissé voir sa face géniale, comme Vinteuil avec qui il partage l’humiliation et la bonté…38

Ainsi, ce que révèle le défaut… c’est que le défaut n’existe pas, ni dans la littérature, ni dans la « réalité » dont elle prétend rendre compte. Le « défaut de la langue » de Saniette, petit détail pourtant « réaliste » et presque trivial qui lui donne sa consistance comme personnage de roman, est aussi ce qui permet de faire apparaître le caractère mouvant et « illogique » de toute construction romanesque. Comme l’écrira plus tard un grand lecteur de Proust :

[…] pas plus un ordre prétendument chronologique qu’une prétendue justesse d’observation et de peinture de caractères ou des mœurs ne peuvent, à aucun titre, constituer un modèle, ne garantissent une quelconque logique faute de quoi il y aurait, dans un texte, discontinuité, et par conséquent ne sauraient servir de référence pour juger de la bonne qualité ou de la bonne construction (c’est d’ailleurs la même chose) d’un roman.39

Tout est réversible chez Proust : non dans la perspective d’un dévoilement ultime de la vérité, mais dans un mouvement sans fin qui abolit les notions mêmes de défauts et de qualités.

 

1 Un Amour de Swann, À la Recherche du Temps perdu, édition en 4 volumes publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987-1989, I, p. 192. Toutes les références à la Recherche se feront dans cette édition.

2 Sodome et Gomorrhe, II, notes et variantes, p. 1304.

3 Un Amour de Swann, I, p. 200.

4 Un Amour de Swann, I, p. 272-273 ; La Prisonnière, III, p. 769-770.

5 La Prisonnière, III, 828-830. La mort de Saniette, comme le revirement des Verdurin, figurent sur des additions, voir notes de ce même volume, p. 1755 et 1769. La première avait été dactylographiée à part, néanmoins, et n’avait pas encore trouvé sa place, tandis que la seconde se raccordait à la maladie de Charlus. Dans les premières éditions de la Recherche, le récit de la mort de Saniette figurait en note, voire pas du tout.

6 Sodome et Gomorrhe, III, p. 294.

7 Ibid, III, p. 321.

8 Ibid., III, p. 324.

9 René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961, p. 474-475.

10https://enkidoublog.fr/2018/12/15/sur-le-theme-de-la-these-mimetique-de-rene-girard-un-texte-de-marcel-proust/

11 http://www.luglieditore.com/forum/proust01/archivi/beretta1.htm. L’anagramme – mis à part les jeux sur Gilberte/Albertine – est assez rare chez Proust, et l’hypothèse semble peu fondée. Si le point de départ du personnage semble avoir été l’obscur M. Seignette, professeur de physique au Lycée Condorcet, la transformation du nom peut cependant attirer l’attention : l’allusion aux souffrances du Christ pourrait, en ce cas, être trouvée dans l’homophonie peu flatteuse avec le terme « sanies », souvent associé au supplice du Christ (et qu’on trouve notamment chez Huysmans et Jean Lorrain).

12 Sodome et Gomorrhe, III, p. 265.

13 La Prisonnière, III, p. 813.

14 Sodome et Gomorrhe, III, p. 268.

15 Ibid., III, p. 342. L’expression sera reprise, dans la bouche de M. Verdurin, cette fois dans La Prisonnière, au moment où Saniette attend patiemment qu’on prenne ses affaires : « Qu’est-ce que vous faites là dans cette pose de chien couchant ? » (III, p. 732).

16 Ibid., III, p. 412.

17 Un Amour de Swann, I, p. 272.

18 Ibid., I, p. 257.

19 Sodome et Gomorrhe, III, p. 328.

20 Ibid., III, p. 324-325.

21 Ibid., III, p. 324.

22 Ibid., III, p. 325.

23 La Prisonnière, III, p. 731

24 Ibid., III, p. 733.

25 Ibid., III, p. 770.

26 http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3311

27 Voir lettre à Madame Straus du 6 novembre 1908, Correspondance, publiée sous la direction de Philip Kolb, tome VIII, Paris, Plon, 1981, p. 276 « Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue comme chaque violoniste est obligé de se faire son ‘‘son’’. […] La seule manière de défendre la langue, c’est de l’attaquer, mais oui Madame Straus ! » ; et Le Côté de Guermantes, II, p. 839. L’écrivain qui croit qu’il suffit de transposer le langage « passéiste » des aristocrates, y trouve un plaisir qui « n’est pas sans danger, car il risque de croire que les choses du passé ont un charme par elles-mêmes, de les transporter telles quelles dans son œuvre, mort-née dans ce cas, dégageant un ennui dont il se console en se disant ‘‘C’est joli parce que c’est vrai, cela se dit ainsi’’. »

28 Un Amour de Swann, I, p. 273.

29 Le souvenir de la scène réapparaît plus loin, on le sait, lorsque Swann repense à celle de sa propre expulsion et imagine Odette avoir pour Forcheville « les mêmes regards, brillants, malicieux et sournois, que le jour où celui-ci avait chassé Saniette de chez les Verdurin » (p. 295).

30 La Prisonnière, III, p. 880.

31 Pour plus de détails, je me permets de renvoyer à mon livre, L’Illusion qui nous frappe, Champion, 1996.

32 La Prisonnière, III, p. 830

33 Albertine disparue, IV, p. 97.

34 La Prisonnière, III, p. 732.

35 Le Temps retrouvé, IV, p 368.

36 Sodome et Gomorrhe, III, p. 363.

37 Albertine disparue, IV, p. 53.

38 Un auteur de romans policiers semble avoir envisagé une telle « revanche » : dans Les Douze travaux de Saniette, « l’inspecteur Saniette, timide adjoint du commissaire Swann et souffre-douleur du Préfet Verdurin, prend de la bouteille, de l’assurance, de la graine, et monte en grade » (Michel-Henri Dufay, La Cardere, 2008).

39 Claude Simon, « La fiction mot à mot », Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 2006, p. 1188.



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- Auteur : Karen Haddad
- Titre : Le défaut de la langue. Saniette, celui qui ne savait pas parler.
- Date de publication : 29-04-2023
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=332
- ISSN 2105-2816