Avec Camille, nous nous connaissons depuis nos années d’étudiants à la Sorbonne, quand nous suivions les cours d’un même maître : Pierre Brunel, sous la direction de qui nous fîmes notre thèse. La seule différence fut que Camille accepta de faire partie de mon jury de thèse, car, même s’il n’est mon aîné que de deux ans, sa brillante carrière a permis qu’il obtînt son habilitation plusieurs années avant que je ne soutienne la mienne, où il fut de nouveau membre du jury. Je fus élu maître de conférences en 1995 à l’université de Strasbourg, là où Camille était professeur, son soutien fut indéfectible, ses conseils précieux pour mes débuts dans l’enseignement universitaire. Nous avons collaboré ensemble à de nombreux colloques en France et à l’étranger, j’ai pu participer également aux travaux du centre de recherche de Nanterre, « Littérature et philosophie », que Camille a dirigé pendant des années. Je retiendrai deux colloques en particulier : celui qui nous a réunis à Rio de Janeiro, en décembre 2007, sur « Le Corps et ses traductions », puis celui qui nous a permis de nous retrouver à l’île de Procida, en Italie, non loin de Naples, autour de « l’Eros latin », à la mi-septembre 2012. Dans les deux cas, nous avons prolongé les jours de travail par des jours de loisir, nous constituant ainsi des souvenirs professionnels et amicaux. Notre dernière sortie en date, ensemble, en cette fin d’année 2021, à l’occasion de l’interprétation du Silence de Molière de Giovanni Macchia, donnée au Studio théâtre de la Comédie française, que Camille et notre ami commun Jean-Paul Manganaro ont traduit de l’italien, m’a donné l’occasion d’entendre de nouveau ce texte superbement rendu.

Si j’ai désiré choisir une pièce de Shakespeare comme illustration de mon propos « Quand la voix fait défaut », c’est également en mémoire de nos années d’étudiants, où, ensemble avec Camille, nous courions, émerveillés, découvrir les mises en scène du dramaturge anglais d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes, sans compter que c’est aussi grâce à Camille qu’il me fut donné d’apprécier l’incroyable travail de l’acteur Carmelo Bene, si proche de celui d’Antonin Artaud, lors de sa dernière venue à Paris, au théâtre de l’Odéon, en 1996, dans le rôle de Macbeth (en vérité dans tous les rôles seul sur scène, homme-orchestre de la tragédie et du théâtre), lorsqu’il interpréta son Macbeth Horror Suite. Sans oublier nos soirées à l’opéra, à Garnier puis à Bastille, avec « Our ancient friend Don juan », ou avec Billy Budd. Nous avions même organisé un séjour au Grand hôtel de Cabourg, autour de Proust (dans nos « débuts », nous avions vingt ans à peine…), le directeur s’appelant alors… M. Rimbaud. Il me souvient encore de la visite de Camille lorsque je fus nommé pour un an professeur au collège privé de Clifton, à Bristol, dans l’ouest de l’Angleterre, tandis que nous regardions évoluer sur les pelouses tirées au cordeau les élèves, habillés de blanc, jouant à leur sport national, le cricket. Sans oublier mes séjours à Bordeaux, dans le vaste hôtel particulier familial où Camille, au cours de l’été 2011, y écrivit ses Fureurs, livre indispensable à tout comparatiste. J’ajouterai enfin que le partage commun d’un certain détachement lucide, ainsi qu’une complicité à travers ces élans d’un « héroïsme du désir » que Camille a su mieux analyser que quiconque dans ses livres, ont servi de boussole bénéfique à notre relation devenue, au fil des années, « émérite ».